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TÉMOIGNAGE«Vos policiers sont en retard sur nous»

Karim*, ex-braqueur lyonnais, a sévi en Suisse et payé pour ça. Il raconte au «Matin» les méthodes de ceux qui lui ont succédé et leur fascination pour la Suisse.

Laurent Grabet
par
Laurent Grabet
Cette photo de Karim* a été prise par un de ses amis dans une cité de la banlieue lyonnaise.

Cette photo de Karim* a été prise par un de ses amis dans une cité de la banlieue lyonnaise.

Christian Barusta / DR

«David, t'as confiance?» demande Karim* à Me?Metaxas en nous désignant de la tête. L'avocat préféré des malfrats lyonnais répond que oui. La méfiance tombe d'un cran. Le Lyonnais qui nous fait face a une trentaine d'années, dont «un certain nombre» passées dans les prisons suisses. Son regard en a gardé des traces. C'est un Français d'origine maghrébine issu d'une de ces cités «sensibles» encerclant la capitale rhônalpine. Il est une «mémoire vive de la banlieue», d'après Me Metaxas. Même s'il est rangé, l'homme dit toujours «on» lorsqu'il parle des «potes» qui continuent d'écumer l'«eldorado suisse» en quête de voitures puissantes et de braquages lucratifs. «A l'époque, on avait tellement ratissé la partie frontalière qu'à la fin on n'avait presque plus d'endroits où voler», s'amuse Karim sans lâcher un sourire. Les braquages à la voiture-bélier qui suivaient dans la région lyonnaise ne datent pas d'hier. Leur auteur ne souhaite pas s'étendre sur le sujet. S'il accepte de nous parler, c'est «comme un service à David, car je n'ai rien à y gagner», insiste-t-il.

Une Suisse «trop tentante»

«En Suisse, la tentation est trop forte, commence Karim. A Genève, de nuit, on peut encore voir des montres de luxe derrière des vitrines à peine grillagées. Dans la Suisse profonde, les voitures haut de gamme ne sont même pas équipées de tracker! Il m'est arrivé d'être dans une banque chez vous et de voir le coffre ouvert derrière l'employée!» L'ex-braqueur donne sa vision d'un pays naïf et riche à en susciter son «mépris». Les Suisses? «Ils se sont pris quelques claques mais ne se méfient toujours pas.» Leurs policiers? «Des amateurs. Ils ont beau serrer la vis, ils sont et seront toujours deux voire trois crans en dessous de leurs collègues lyonnais.» Les sanctions? Dans l'esprit de Karim, il y a toujours un décalage entre celles encourues de part et d'autre de la frontière. «Pour un braco (ndlr: braquage), on s'en sort beaucoup mieux en Suisse. On reste en prison quelques mois et ça se termine sur une libération conditionnelle et une expulsion.» L'homme, qui suit les «exploits» de ses collègues jusque sur les sites des médias romands, sait que les juges ne sont pas aussi durs dans tous les cantons. Comme lui avant eux, ses successeurs en jouent.

«Péter un fourgon blindé»

«Pour les armes aussi, on fait parfois notre marché en Suisse auprès de mecs des pays de l'Est qui y habitent.» Grâce aux séjours des Lyonnais dans les prisons suisses, des liens se sont tissés entre les hors-la-loi des deux pays. A tel point que les Rhônalpins commencent à avoir des pied-à-terre en Romandie. «Maintenant, les mecs qui veulent monter un coup peuvent le faire tranquille. Faire un premier voyage pour amener des armes. Un autre pour repérer. Et un dernier pour péter une bijouterie ou une banque. A l'avenir, vous aurez de moins en moins affaire à nous, mais de plus en plus pour de gros trucs bien organisés», pronostique Karim. Le Lyonnais s'étonne d'ailleurs tout haut que ses amis n'aient pas encore attaqué de fourgons blindés sur Suisse. «C'est une question de temps. Il manque juste le bon tuyau qui ne devrait pas tarder. On sort en Suisse. On discute avec des gars. On fascine certaines filles. L'une d'elles peut être la petite employée de banque qui sait quand et comment le coffre est vidé… Entre la banlieue lyonnaise et la Suisse, c'est une longue histoire d'amour. Et elle n'est pas près de s'arrêter.»

* Prénom d'emprunt

L'édito

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