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InterviewZep: «Est-ce adulte d'être grave?»

Zep a consigné Titeuf pour croquer «Une histoire d'hommes». Plongée dans un lourd secret imbibé de rock'n'roll.

Fred Valet
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Fred Valet
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Quand on ouvre un album de Zep, il ne faut rien laisser au hasard, car l'artiste truffe ses dessins de coups de cœur personnels. Comme cette affiche de «Stranger than paradise» de Jarmusch. «J'adore les images de Jarmusch. Ce film, quand il est sorti, était époustouflant pour ça. Il faisait que du plan fixe. Comme «Dead Man», dans lequel chaque image raconte quelque chose, même si c'est parfois insignifiant. Et sur la bande-son de Neil Young! Dans «Dead Man», l'image du Marshall qui se fait écraser la tête auréolée de lumière en gros plan, c'est incroyable.»

Quand on ouvre un album de Zep, il ne faut rien laisser au hasard, car l'artiste truffe ses dessins de coups de cœur personnels. Comme cette affiche de «Stranger than paradise» de Jarmusch. «J'adore les images de Jarmusch. Ce film, quand il est sorti, était époustouflant pour ça. Il faisait que du plan fixe. Comme «Dead Man», dans lequel chaque image raconte quelque chose, même si c'est parfois insignifiant. Et sur la bande-son de Neil Young! Dans «Dead Man», l'image du Marshall qui se fait écraser la tête auréolée de lumière en gros plan, c'est incroyable.»

Sébastien Anex
Le groupe dans lequel évolue les héros de Zep s'appelle Tricky Fingers, référence évidente à l'emblématique album «Sticky Fingers» des Stones, sorti en 1971, arborant une fermeture éclair. «Ce n'est pas leur plus belle œuvre, mais l'album avec lequel ils prennent véritablement conscience de leur statut, parce qu'ils bossent avec Andy Warhol pour la pochette. Ils ont compris qu'ils commençaient à faire partie de l'histoire de l'art. Avant ça, ils se contentaient de jouer, boire et tout casser. On passe de la rock'n'roll attitude à la rock'n'roll factory et tout ce qu'elle implique.»

Le groupe dans lequel évolue les héros de Zep s'appelle Tricky Fingers, référence évidente à l'emblématique album «Sticky Fingers» des Stones, sorti en 1971, arborant une fermeture éclair. «Ce n'est pas leur plus belle œuvre, mais l'album avec lequel ils prennent véritablement conscience de leur statut, parce qu'ils bossent avec Andy Warhol pour la pochette. Ils ont compris qu'ils commençaient à faire partie de l'histoire de l'art. Avant ça, ils se contentaient de jouer, boire et tout casser. On passe de la rock'n'roll attitude à la rock'n'roll factory et tout ce qu'elle implique.»

Sébastien Anex
La ville où les carrières rock se font et, dans la tête de Zep… se défont. «Le Jools Holland Show, tous les artistes en rêvent. Une fois dans cette émission, la vie peut basculer du jour au lendemain. Dans mon histoire, c'est Frank, le batteur, qui est finalement le plus réaliste de la bande. A quelques minutes de l'entrée sur le plateau, il craque sous la pression et s'envoie du LSD dans les toilettes. J'aurais pu choisir Paris ou New York. Vu que le groupe est basé en Suisse, Londres paraissait plus logique, surtout pour du rock. D'autant que si l'histoire se déroulait à Paris, il n'y aurait aucune raison qu'ils tentent leur chance à Londres. Mais quand tu viens de Perroy. (Rires.)»

La ville où les carrières rock se font et, dans la tête de Zep… se défont. «Le Jools Holland Show, tous les artistes en rêvent. Une fois dans cette émission, la vie peut basculer du jour au lendemain. Dans mon histoire, c'est Frank, le batteur, qui est finalement le plus réaliste de la bande. A quelques minutes de l'entrée sur le plateau, il craque sous la pression et s'envoie du LSD dans les toilettes. J'aurais pu choisir Paris ou New York. Vu que le groupe est basé en Suisse, Londres paraissait plus logique, surtout pour du rock. D'autant que si l'histoire se déroulait à Paris, il n'y aurait aucune raison qu'ils tentent leur chance à Londres. Mais quand tu viens de Perroy. (Rires.)»

Sébastien Anex

«Zep passe à la BD pour adultes!» Un titre qui s'est propagé à main levée depuis que le Genevois au crayon d'or a prémédité «Une histoire d'hommes». Un slogan réducteur. Racoleur. Comme un coming out ridé. Un aveu de sagesse. Pire, un abandon.

Mûr, Zep? Non. Enfin, pas plus qu'hier sachant qu'il faut avoir des rêves de grand pour se glisser sous le scalp d'un petit pendant vingt ans. Ce qu'on peut affirmer, en revanche, c'est qu'il mérite enfin son pseudonyme emprunté au lettrage aujourd'hui noble de Led Zeppelin. Zep, n'est pas plus mûr. Il est plus rock. Plus dur. Plus grave. Et il l'exprime.

Entre les gags et le succès, le quadra à la bouille malicieuse couvait secrètement un scénario. Un vrai. Avec un début, une fin. Libéré de l'excitante mais intraitable tyrannie de la chute rigolote.

Un scénario, comme un film. «Sauf que je ne suis pas réalisateur et que mon expérience dans l'animation, avec Titeuf, m'a prouvé que le métier est très fatigant.» Un scénario, enfin, qu'il a dessiné d'un trait plus sec, plus fin, plus sombre. Mais aussi plus libre et aéré. Une patte surprenante, belle et torturée.

Branchez les guitares! C'est l'histoire des Tricky Fingers, une bande de rockers suisses en retraite forcée qui, le temps d'un week-end chez leur chanteur devenu célèbre en Angleterre (et en solo), se shootent aux flashs blacks.

Entre l'ascension et la chute, on trouve tout ce qui fait l'ADN d'un quatuor hurlant aux portes de la gloire. Une amitié forte, des ego fragiles, un secret insupportable, de l'adultère et des cocktails de larmes, pas mal de drogue, de la baise malheureuse et quelques rêves de bonheur.

C'est l'histoire de deux meneurs, deux frères: Yvan le guitariste, à la mélancolie désaccordée, et Sandro le leader, aujourd'hui isolé dans son succès et son manoir londonien. Au milieu, une femme: Annie. Sans qui le rock n'aurait jamais eu la même tonalité.

Son «Histoire d'hommes» sort mercredi.

Zep, alors comme ça, vous êtes enfin un adulte?

(Il réfléchit.) Je crois que ce n'est pas si faux. Et le titre du bouquin, «Une histoire d'hommes», appelle ce genre de réactions. Le seul album pour adultes que j'avais réalisé était «Happy Sex». Et encore, j'y ai glissé un jeu très enfantin. Ici, le jeu est, comment dire, plus grave. (Rires.) Mais est-ce que c'est adulte d'être grave?

Comment passe-t-on littéralement d'un «nez qui morve» à «une chatte que tout le monde a vue»?

Pour moi, il n'y a jamais eu de mots interdits. Le langage appartient à mes personnages. Mais c'est vrai que j'ai eu besoin d'un sas de décompression pour passer de Titeuf aux Tricky Fingers. Titeuf, c'est très régressif. Je rigole sur ma table de travail comme un crétin. Là, c'est plus mélancolique, plus introspectif.

La vie des grands est forcément sombre?

Non, bien sûr. Mais j'aime ce dessin qui n'évoque parfois rien de précis. J'avais besoin d'espace, de sortir du cadre. Et plus le temps passe, plus je ressens l'envie d'écrire sur les cicatrices, les blessures. Dans «Carnets intimes», des croquis publiés chez Gallimard en 2011, j'avais écrit des textes plus sombres. C'était la première fois que je m'autorisais à dévoiler quelque chose qui n'était pas du gag. Une révélation.

L'histoire, vous l'aviez en tête depuis longtemps?

Je voulais depuis longtemps faire une grande histoire. Mais tout est allé assez vite une fois le scénario ficelé. Je voulais parler d'un type dont l'existence se casse parce qu'il voulait vivre vite, mourir jeune et qu'il est toujours vivant.

Pourquoi veut-on parfois vivre vite et mourir jeune?

Peut-être parce qu'on n'a jamais su ou voulu faire de tri pour avancer sereinement. A 15 ans, on empile les expériences. Plus tard, on est censé faire des choix. Et des bons. L'aventure, à 45 ans, ce n'est pas de s'imaginer dans la peau d'Indiana Jones, mais de se prendre dans la gueule des coups durs et imprévisibles. La situation de loser d'Yvan est d'ailleurs très confortable je trouve. On est en sécurité lorsqu'on n'attend plus rien de la vie.

Sandro, lui, abandonne ses potes pour vivre son propre rêve. Ça vous ressemble?

On ne peut pas en vouloir à Sandro de prendre sa vie en main. Et quand on a des rêves, certains sacrifices peuvent paraître cruels. J'en ai fait, bien sûr, mais pas au point d'abandonner littéralement une bande de copains.

Le rock vous a aussi fait perdre la tête plus jeune?

J'ai eu, comme tout le monde, mes années «rock star», avec cette envie de conquérir le monde avec ma guitare et de monter sur scène. Aujourd'hui, même si j'aime toujours jouer, m'imaginer sur scène me fatigue déjà. (Rires.) Plus le temps passe, plus j'ai besoin d'évoquer les cicatrices et les blessures dans de grands espaces Philippe Chappuis, alias Zep  Avec «Une histoire d'hommes», Zep a lâché le gag pour s'autoriser une introspection d'adulte.

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