InterviewZep: «Est-ce adulte d'être grave?»
Zep a consigné Titeuf pour croquer «Une histoire d'hommes». Plongée dans un lourd secret imbibé de rock'n'roll.
- par
- Fred Valet
«Zep passe à la BD pour adultes!» Un titre qui s'est propagé à main levée depuis que le Genevois au crayon d'or a prémédité «Une histoire d'hommes». Un slogan réducteur. Racoleur. Comme un coming out ridé. Un aveu de sagesse. Pire, un abandon.
Mûr, Zep? Non. Enfin, pas plus qu'hier sachant qu'il faut avoir des rêves de grand pour se glisser sous le scalp d'un petit pendant vingt ans. Ce qu'on peut affirmer, en revanche, c'est qu'il mérite enfin son pseudonyme emprunté au lettrage aujourd'hui noble de Led Zeppelin. Zep, n'est pas plus mûr. Il est plus rock. Plus dur. Plus grave. Et il l'exprime.
Entre les gags et le succès, le quadra à la bouille malicieuse couvait secrètement un scénario. Un vrai. Avec un début, une fin. Libéré de l'excitante mais intraitable tyrannie de la chute rigolote.
Un scénario, comme un film. «Sauf que je ne suis pas réalisateur et que mon expérience dans l'animation, avec Titeuf, m'a prouvé que le métier est très fatigant.» Un scénario, enfin, qu'il a dessiné d'un trait plus sec, plus fin, plus sombre. Mais aussi plus libre et aéré. Une patte surprenante, belle et torturée.
Branchez les guitares! C'est l'histoire des Tricky Fingers, une bande de rockers suisses en retraite forcée qui, le temps d'un week-end chez leur chanteur devenu célèbre en Angleterre (et en solo), se shootent aux flashs blacks.
Entre l'ascension et la chute, on trouve tout ce qui fait l'ADN d'un quatuor hurlant aux portes de la gloire. Une amitié forte, des ego fragiles, un secret insupportable, de l'adultère et des cocktails de larmes, pas mal de drogue, de la baise malheureuse et quelques rêves de bonheur.
C'est l'histoire de deux meneurs, deux frères: Yvan le guitariste, à la mélancolie désaccordée, et Sandro le leader, aujourd'hui isolé dans son succès et son manoir londonien. Au milieu, une femme: Annie. Sans qui le rock n'aurait jamais eu la même tonalité.
Son «Histoire d'hommes» sort mercredi.
Zep, alors comme ça, vous êtes enfin un adulte?
(Il réfléchit.) Je crois que ce n'est pas si faux. Et le titre du bouquin, «Une histoire d'hommes», appelle ce genre de réactions. Le seul album pour adultes que j'avais réalisé était «Happy Sex». Et encore, j'y ai glissé un jeu très enfantin. Ici, le jeu est, comment dire, plus grave. (Rires.) Mais est-ce que c'est adulte d'être grave?
Comment passe-t-on littéralement d'un «nez qui morve» à «une chatte que tout le monde a vue»?
Pour moi, il n'y a jamais eu de mots interdits. Le langage appartient à mes personnages. Mais c'est vrai que j'ai eu besoin d'un sas de décompression pour passer de Titeuf aux Tricky Fingers. Titeuf, c'est très régressif. Je rigole sur ma table de travail comme un crétin. Là, c'est plus mélancolique, plus introspectif.
La vie des grands est forcément sombre?
Non, bien sûr. Mais j'aime ce dessin qui n'évoque parfois rien de précis. J'avais besoin d'espace, de sortir du cadre. Et plus le temps passe, plus je ressens l'envie d'écrire sur les cicatrices, les blessures. Dans «Carnets intimes», des croquis publiés chez Gallimard en 2011, j'avais écrit des textes plus sombres. C'était la première fois que je m'autorisais à dévoiler quelque chose qui n'était pas du gag. Une révélation.
L'histoire, vous l'aviez en tête depuis longtemps?
Je voulais depuis longtemps faire une grande histoire. Mais tout est allé assez vite une fois le scénario ficelé. Je voulais parler d'un type dont l'existence se casse parce qu'il voulait vivre vite, mourir jeune et qu'il est toujours vivant.
Pourquoi veut-on parfois vivre vite et mourir jeune?
Peut-être parce qu'on n'a jamais su ou voulu faire de tri pour avancer sereinement. A 15 ans, on empile les expériences. Plus tard, on est censé faire des choix. Et des bons. L'aventure, à 45 ans, ce n'est pas de s'imaginer dans la peau d'Indiana Jones, mais de se prendre dans la gueule des coups durs et imprévisibles. La situation de loser d'Yvan est d'ailleurs très confortable je trouve. On est en sécurité lorsqu'on n'attend plus rien de la vie.
Sandro, lui, abandonne ses potes pour vivre son propre rêve. Ça vous ressemble?
On ne peut pas en vouloir à Sandro de prendre sa vie en main. Et quand on a des rêves, certains sacrifices peuvent paraître cruels. J'en ai fait, bien sûr, mais pas au point d'abandonner littéralement une bande de copains.
Le rock vous a aussi fait perdre la tête plus jeune?
J'ai eu, comme tout le monde, mes années «rock star», avec cette envie de conquérir le monde avec ma guitare et de monter sur scène. Aujourd'hui, même si j'aime toujours jouer, m'imaginer sur scène me fatigue déjà. (Rires.) Plus le temps passe, plus j'ai besoin d'évoquer les cicatrices et les blessures dans de grands espaces Philippe Chappuis, alias Zep Avec «Une histoire d'hommes», Zep a lâché le gag pour s'autoriser une introspection d'adulte.