Pour un cinéaste jurassien rentré de Russie, tout est à refaire

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Guerre en UkrainePour un cinéaste jurassien rentré de Russie, tout est à refaire

Le réalisateur Antoine Cattin a quitté sa seconde patrie avec ses enfants et sa caméra.

Vincent Donzé
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Vincent Donzé
Réalisateur établi à Saint-Pétersbourg, Antoine Cattin est de retour dans le Jura suite à la guerre en Ukraine, avec une plaquette de la rue de Kronverk, la couronne de défense autour de la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg.

Réalisateur établi à Saint-Pétersbourg, Antoine Cattin est de retour dans le Jura suite à la guerre en Ukraine, avec une plaquette de la rue de Kronverk, la couronne de défense autour de la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg.

lematin.ch/Sébastien Anex

Le choix d’une langue, pendant ses études de lettres à Lausanne: voilà ce qui a conduit Antoine Cattin en Russie, où il a fait sa vie avec femme et enfants. «Lance-toi, c’est la langue du futur», lui a conseillé un copain à l’époque. C’était en 1994, juste après la chute du communisme…

Jurassien de Corban très à l’aise dans une langue synthétique avec ses préfixes et ses postfixes, Antoine a réalisé un mémoire en histoire du cinéma russe… Il s’est, comme il dit, «russifié» lors de ses séjours. Il n’a pas eu besoin de longtemps pour lire en cyrillique «La Dame au petit chien» d’Anton Tchekhov.

«Champ des possibles»

Dans son habit d’assistant-réalisateur en mode Super 8, il a profité d’une bourse en 1998, puis d’une autre, pour effectuer ses premiers stages à St-Pétersbourg, la cité des tsars qui deviendra sa ville de cœur, pas seulement pendant les nuits blanches.

«La Russie incarnait à mes yeux le champ des possibles: une page s’écrivait avec la fin de l’Ancien-Monde communiste», raconte Antoine Cattin. L’étudiant était déjà assoiffé de nouveaux formats: «Le ciné à l’uni était historique, castrateur», assène-t-il.

«Vent du changement»

Son premier grand projet cinématographique, Antoine Cattin l’a consacré en 2002 au cinéaste Alexeï Guerman, cinéaste soviétique et russe mort en 2013. Avec un papa des Franches-Montagnes et une maman du Liechtenstein, Antoine parle russe avec un accent si minime qu’on le croit venu d’un pays balte. Dans sa famille d’accueil lors de son premier séjour en Russie, à Koursk, chez une babouchka, il devient ainsi le «neveu d’Estonie»…

Le soir, il buvait des bières locales de Koursk, les «Pikour», et il se réchauffait à la flamme du Soldat inconnu. C’était l’époque où prendre une photo d’une tête de cochon au marché conduisait au poste de police. Dans un pays où le Kremlin lui a vite paru corrompu, Antoine a rencontré plein «de gens merveilleux».

Un extrait du film «Jours de fête»

Un extrait du film «Jours de fête»

DR

Depuis les premières manifestations de l’opposition russe en 2012, Antoine a suivi et documenté ces mouvements libéraux dirigés contre la Russie de Poutine. Longtemps plein d’espoir d’être le témoin d’un «vent du changement», comme le chantait Viktor Tsoï pendant la perestroïka (ndlr: réformes menées par Mikhaïl Gorbatchev), le Jurassien a petit à petit déchanté.

Avec le recul, avec la guerre, Antoine Cattin a perdu presque tout espoir: «Il n’y a plus d’idéologie en Russie, seule la société de consommation a triomphé». Selon le cinéaste, «ce manque d’idéologie devrait éviter à la Russie de suivre les sirènes fascistes du passé», mais «la répression politique s’intensifie au pays, pendant que les canons font rage en Ukraine». Vu de Suisse, c’est encore pire, selon lui: «Plus personne ne veut entendre parler de la Russie».

«Étau du Kremlin»

Antoine Cattin est nostalgique d’un pays «mal exploité politiquement», où «la liberté était totale» pour qui savait se l’approprier. Il se dit qu’un quart des Russes soutiennent Poutine, qu’un quart le conteste et que la moitié «n’en a rien à cirer».

Son dernier film «Jours de fête», financé par la Suisse, raconte la Russie de ces cinq dernières années. Chaque fête nationale russe se termine par une descente de police. «On sent l’étau du Kremlin se resserrer sur la société», résume le cinéaste.

Des quatre personnages principaux, deux partent finalement pour l’Ukraine: l’un pour soutenir l’effort de guerre, l’autre pensant y trouver du réconfort. Tournées quelques mois avant le début de la guerre, ces images sont prophétiques.

Antoine Cattin va devoir refaire sa vie, avec sa caméra et ses filles, une placée chez sa cousine et l’autre chez sa sœur. Ils sont rentrés en Suisse avec tous les moyens de transport publics disponibles, sauf le bateau: un bus de Saint-Pétersbourg à Helsinki, avec en prime six heures pour passer la frontière, puis un avion pour Genève, suivi du train.

En ce moment, Antoine cherche à produire des informations dans un format qu’il estime compatible avec la presse helvétique ou française. Des news «pas formatées», comme il dit. Il veut filmer «la vie prise sur le vif», le concert d’une fanfare, une kermesse de vigneronnes, la manif des membres d’une ZAD…

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