ZoologieLes singes se font des politesses entre eux
Une étude menée notamment par l’Université de Neuchâtel montre que bonobos et chimpanzés se font des signes au moment de débuter et de terminer une activité commune.


Avant de jouer ensemble ou de se toiletter, deux bonobos se touchent ou se regardent et ils le font également une fois l’activité terminée.
Émilie GentyEn étudiant un groupe de bonobos, des chercheurs de l’Université de Neuchâtel (UNINE) avaient découvert en 2020 une forme de communication lors d’interactions sociales. En interrompant soudainement le toilettage des grands singes, en simulant par exemple l’arrivée d’un soigneur dans leur enclos, ce qui faisait se disperser les animaux, les scientifiques avaient observé que les bonobos reprenaient ensuite cette activité avec le même partenaire, mais en émettant un signal au moment de la suspension et de la reprise de cette interaction. Un peu, sans tomber dans l’anthropomorphisme, comme lorsqu’on s’excuse en quittant, puis en rejoignant une réunion à la suite d’un appel téléphonique, par exemple.
Raphaela Heesen, qui est aujourd’hui à l’Université de Durham (GB), et Émilie Genty, coordinatrice scientifique au Laboratoire de cognition comparée de l’UNINE, ont prolongé leur précédente recherche en observant cette fois, outre des bonobos, également des chimpanzés, et ce sans intervenir lors des activités entre grands singes. Après avoir étudié plus de 1200 interactions entre groupes de chimpanzés et bonobos captifs, dans les réserves françaises de Romagne et Sigean ainsi que dans les zoos de Bâle et de San Diego, les scientifiques ont une nouvelle fois constaté une forme de politesse entre les individus.
Des regards et des gestes tactiles
Selon les résultats obtenus, les bonobos échangent des signaux communicatifs avant de démarrer un jeu ou un toilettage dans 90% des cas, alors que les chimpanzés le font dans 69% des cas. Les signaux spécifiques pour terminer l’interaction sont encore plus fréquents, se manifestant dans 92% des interactions chez les bonobos et dans 86% des cas chez les chimpanzés. «Souvent, les singes cherchent d’abord le regard de l’autre, nous explique Émilie Genty, puis l’un touche l’autre, par exemple. Dans le cas du toilettage, un individu peut présenter la partie du corps par laquelle il aimerait que l’autre commence. Le deuxième peut le faire aussi et il y a alors une sorte de négociation pour savoir lequel va commencer à toiletter l’autre.»
Les scientifiques ont également découvert que, comme lors de la première expérience, le lien social entre individus jouait un rôle dans cette forme de communication. Plus un individu est proche de l’autre, plus ces phases de début et de fin d’interactions sont courtes. Comme un peu chez les humains, où l’on a moins besoin de se faire des politesses entre bons amis. Cette tendance a surtout été observée chez les bonobos, dont la structure sociale est plus égalitaire que chez les chimpanzés. Chez les bonobos, ce sont les femelles qui sont dominantes, sans que cette forme de pouvoir soit aussi linéaire que chez les chimpanzés, où c’est un mâle alpha qui est à la tête du groupe.
Cette forme de communication avec politesse pourrait-elle se retrouver chez tous les primates? «En publiant nos résultats aujourd’hui dans la revue iScience, nous espérons que d’autres chercheurs pourront s’en inspirer pour le vérifier et c’est d’ailleurs déjà le cas puisque de telles observations vont être effectuées notamment chez les ouistitis et les babouins», dit Émilie Genty. Cette étude a été effectuée dans le cadre du Pôle de recherche national NCCR Evolving Language, un grand consortium interdisciplinaire visant à mieux comprendre ce qu’est le langage sous toutes ses formes. Elle n’est pas terminée, puisque maintenant les signaux employés par les chimpanzés et les bonobos pour coordonner ces interactions vont être analysés, pour savoir si certains ont une signification spécifique ou non.
Aux origines de la communication humaine
«Cela devrait nous aider à mieux comprendre ces espèces, mais cela peut également nous éclairer sur les origines de la communication humaine. Comment celle-ci s’est-elle développée? Avec l’apparition du langage ou, comme les singes, avons-nous commencé par des gestes et des regards, signes que nous employons toujours aujourd’hui, d’ailleurs?»