Tour de France: Les maillots distinctifs ont-ils encore un sens?

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Tour de FranceLes maillots distinctifs ont-ils encore un sens?

Depuis quelques années, et de manière circonstancielle, le vainqueur du classement général a tendance à tout rafler sur son passage. De quoi faire perdre de la valeur aux classements annexes? Prise de température.

Chris Geiger
par
Chris Geiger Châtillon-sur-Chalaronne
Pour Neilson Powless, le maillot à pois est un vrai objectif.

Pour Neilson Powless, le maillot à pois est un vrai objectif.

AFP

Un maillot vert sortant (Wout van Aert) qui déclare avant même le début du Tour de France qu’il ne défendra pas son titre de meilleur sprinter. Un maillot à pois de meilleur grimpeur qui revient – par défaut – au lauréat du classement général (Tadej Pogacar à deux reprises, puis Jonas Vingegaard) depuis trois ans. Un maillot blanc qui n’offre aucun suspense sur l’identité du coureur qui domine la hiérarchie des moins de 25 ans (Tadej Pogacar) pour la quatrième année consécutive.

De prime abord, les accessits sur la Grande Boucle semblent avoir perdu de leur superbe. Un bref échange avec Marc Madiot confirme ce ressenti. «Si je devais choisir, je privilégierais largement un succès d’étape plutôt qu’un maillot distinctif à Paris», assure le grand manitou de la Groupama-FDJ, qui a connu pareil honneur par le passé grâce à Baden Cooke (maillot vert en 2003) et Thibaut Pinot (maillot blanc en 2014). «C’est bien sur le moment, mais voilà», évacue-t-il.

Les gros ne laissent que des miettes 

Pour le manager de la formation tricolore, les dernières éditions de la Grande Boucle archi-dominées par les phénomènes Tadej Pogacar (général, meilleur jeune et meilleur grimpeur en 2020 et 2021) et Jonas Vingegaard (maillots jaune et à pois en 2022) ont fini par tuer tout suspense. «Ça n’encourage pas les autres coureurs à viser cet objectif, glisse le dirigeant français. Avec les difficultés qui arrivent d’ici à Paris, le maillot à pois va à nouveau revenir au Slovène ou au Danois.»

Cette prédiction, Neilson Powless entend bien la tordre. L’actuel leader du classement de la montagne, qui dispose d’un maigre coussin de 15 unités sur son dauphin… Tadej Pogacar au soir de la 13e étape, entend se dépouiller pour cette mythique tunique.

«C’est un maillot distinctif sur le Tour de France; il n’y a rien de plus grand!»

Neilson Powless, porteur du maillot à pois

«L’importance que j’accorde à ce maillot est de l’ordre du 100%, lance l’Américain, des étoiles plein les yeux. Il faut se rendre compte: c’est un maillot distinctif sur le Tour de France; il n’y a rien de plus grand! La sensation est incroyable lorsqu’on le porte. Le but est donc de l’avoir sur les épaules à Paris. En quel cas, ce serait le plus grand moment de ma carrière jusqu’ici.»

En ce sens, les étapes alpestres à venir s’annoncent décisives pour le jovial coureur californien. En particulier celle de mercredi – la 17e – qui se termine à Courchevel, au pied du col de la Loze, où les points seront doublés (50 unités dans l’escarcelle de celui qui passe le sommet en tête). Un cas de figure unique sur ce Tour.

Vrai objectif

«On sait que ça risque d’être pour l’un des gros du classement général, anticipe Juan Manuel Garate, directeur sportif chez EF Education-EasyPost. C’est pourquoi on a essayé de grappiller des points dès les premiers jours de course. On a réussi à prendre la tête du classement de la montagne. Pour y rester, on doit courir de la bonne manière ces prochains jours. C’est-à-dire d’être dans les échappées lors des étapes de montagne.»

Pour l’équipe américaine, l’objectif du maillot à pois n’est pas circonstanciel. «Cette tunique est très importante pour nous, reprend l’ancien grimpeur espagnol. On s’est fixé ce but avec Neilson avant même le départ du Tour. Il court intelligemment jusqu’à présent, mais il reste encore beaucoup de points à prendre sur la route d’ici à Paris. On va y aller étape par étape, mais c’est vrai que ce serait cool de monter sur le podium le dernier jour. D’ailleurs, si je devais choisir entre une victoire d’étape et le maillot à pois, je prendrais la deuxième option car il n’y a que très peu de coureurs qui ont l’honneur de la cérémonie protocolaire finale.»

«Si jamais on a une opportunité, on mobilisera toute l'équipe pour aller le chercher le maillot vert.»

Cédric Vasseur, à propos de son coureur Bryan Coquard

Sauf coup de théâtre, celle-ci ne devrait pas concerner l’équipe Cofidis, qui a par ailleurs d’ores et déjà réussi son Tour de France avec les succès de Victor Lafay (à San Sebastian) et Ion Izaguirre (à Belleville-en-Beaujolais). Les deux premiers bouquets sur la plus grande course cycliste du monde pour la formation de Cédric Vasseur depuis 2008. Et comme l’appétit vient en mangeant, le sprinter-maison Bryan Coquard se positionne au niveau du classement du maillot vert (3e, à 145 points de l’intouchable Jasper Philipsen). Car la course est encore longue.

Le maillot vert de Jasper Philipsen.

Le maillot vert de Jasper Philipsen.

AFP

«Aujourd’hui, le No 1 est Philipsen, mentionne le manager de l’écurie tricolore. Si tout se passe bien et qu’il ne connaît pas de journée difficile en montagne, il est inaccessible. Mais tant que la ligne d’arrivée finale n’est pas franchie, tout peut arriver. C’est pourquoi on se bat quand même pour ce maillot vert. Et si jamais on a une opportunité, on mobilisera toute l'équipe pour aller la chercher cette tunique. Ce serait une belle satisfaction pour nous, d’autant plus que le public français attend un porteur du maillot vert depuis 1995 et Laurent Jalabert.»

La magie des pois

Ce dernier, consultant pour France Télévisions sur cette édition 2023, a forgé sa cote de popularité auprès du public tricolore en faisant des maillots distinctifs un vrai objectif. Maillot vert en 1992 et donc trois ans plus tard, maillot à pois en 2001 et 2002, l’ancien coureur de la Once et de la CSC-Tiscali a marqué la rétine et les mémoires. À commencer par celle de Vincent Lavenu, aujourd’hui patron de l’équipe AG2R Citroën.

En 1995: Jalabert en vert, Virenque meilleur grimpeur et la France était heureuse.

En 1995: Jalabert en vert, Virenque meilleur grimpeur et la France était heureuse.

AFP

«On se rappelle de tous ceux qui ont gagné le maillot à pois, à l’image de Lucien Van Impe ou Laurent Jalabert, qui ont véritablement marqué l’histoire, sourit-il. Pour moi qui suis issu des Alpes, le maillot à pois représente quelque chose de magique. Ce maillot n’a pas perdu de valeur au cours des années.» 

«Le maillot à pois? C’est hyper compliqué et il y a une énorme guerre pour l’avoir.»

Lilian Calmejane, coureur d’Intermarché-Circus-Wanty

Un avis que partage Lilian Calmejane. «Je pense qu’il y a encore plus d’engouement qu’avant pour ces maillots distinctifs, estime le coureur d’Intermarché-Circus-Wanty. On le voit avec le maillot à pois: c’est hyper compliqué et il y a une énorme guerre pour l’avoir. Il faut dire que ce maillot a tellement de valeur qu’on veut le conserver tous les jours. Le porter et le garder, c’est un énorme impact publicitaire.»

Au départ de la 14e étape ce samedi à Annemasse (direction Morzine, 152 km), c’est Neilson Powless qui sera sous le feu des projecteurs. Le sera-t-il toujours sur les Champs-Élysées au soir du 23 juillet?

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