Formule 1Leçons japonaises: ce qu’il faut changer après Suzuka
Le Grand Prix du Japon s’est déroulé dans une douce confusion qui a débuté avec la pluie et s’est achevée sur une erreur de rédaction du règlement. La Formule 1 va devoir revoir sa copie, parce que là, elle obtient une très mauvaise note.

1. Les pneus
Une fois de plus (une fois de trop?), la course n’a pas pu avoir lieu de manière normale en raison de la pluie.
Dans l’histoire de la F1, les courses avaient lieu quel que soit le temps. Mais de nos jours, dans une époque où la sécurité est devenue une préoccupation mieux prise en compte, même dans un sport réputé «dangereux», les courses n’ont plus lieu par de trop grosses averses.
Une situation qui est aussi due aux pneus pluie que produit Pirelli. Ceux-ci ne sont tout simplement pas adaptés à de trop grosses averses.
Le manufacturier italien argumente, avec quelque raison, qu’il est inutile de développer un pneu pluie efficace, puisque de toute façon les courses n’ont pas lieu par forte pluie. C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf…
A Suzuka, après la course, Max Verstappen s’est ouvertement plaint de ce problème, tout en proposant son aide: «Je pense que nous avons besoin de meilleurs pneus pluie, a lâché le tout nouveau champion du monde. Si vous avez vu ce que nous pouvions faire dans les années 90, ou au début des années 2000, avec la quantité d'eau qu’il y avait parfois sur la piste, vous vous dites qu’il y a un problème. Je serais très heureux de consacrer quelques jours d’essai pour tester différents types de pneus et trouver de solutions. Nous avons vraiment besoin de meilleurs pneus pluie. Les pneus extrêmes que nous avons sont tout simplement trop lents, ils ne peuvent pas évacuer assez d'eau. C'est pourquoi tout le monde essaie toujours de passer très rapidement aux pneus intermédiaires, ils sont tellement plus rapides. On l’a encore bien vu ici: en changeant pour des «inter», on a immédiatement gagné cinq secondes au tour. C’est trop, et c'est pourquoi personne ne veut courir avec les pneus extrêmes. Ici, quand on a eu le drapeau rouge, il aurait été impossible de rouler, même avec des extrêmes, alors qu’il y a 20 ans, ça aurait été parfait. Il doit donc y avoir une solution. Une course sur le mouillé se déroule normalement aussi par de fortes pluies…»
Voilà qui est dit: Pirelli doit prendre le problème à bout de bras et développer de nouveaux pneus.

Les pneus intermédiaires de Pirelli permettent de gagner cinq secondes au tour, selon Max Verstappen.
freshfocus2. La grue
Après que Carlos Sainz est sorti de piste, au premier tour, les commissaires de Suzuka ont envoyé une grue sur la piste pour évacuer sa voiture - la course était alors interrompue au drapeau rouge.
Des circonstances qui rappellent le dramatique accident de Jules Bianchi, à Suzuka, en 2014, lorsque le jeune Français a perdu le contrôle de sa voiture avant de taper une grue. Grièvement blessé, il est décédé quelques mois plus tard.
Alors quand Pierre Gasly, qui venait de s’arrêter à son stand, est arrivé sur les lieux, au volant de son Alpha Tauri, roulant très vite pour rattraper le peloton après son arrêt, il a eu la peur de sa vie.
De retour aux stands, il a explosé contre les commissaires de piste, tremblant de colère. «Nous avons perdu Jules il y a huit ans, dans des circonstances similaires, avec une grue dans le gravier. Je ne comprends pas comment, huit ans après, on retrouve encore une grue, non pas dans l’échappatoire, mais carrément sur la trajectoire! C’est un manque total de respect pour Jules et sa famille. Si j’avais perdu le contrôle de la voiture à cet endroit, comme Carlos (Sainz) l’a fait, j’aurais été heurter cette grue de 12 tonnes et je serais mort en ce moment. Je suis très chanceux d’être encore en vie et de pouvoir téléphoner à mes parents ce soir.»
Pendant l’interruption de course, Pierre Gasly a été condamné à une pénalité de 20 secondes pour avoir roulé trop vite, alors que la course était stoppée par drapeau rouge, et que de toute façon elle était déjà neutralisée derrière la voiture de sécurité.
Mais dimanche soir, la Fédération Internationale de l’Automobile (la FIA) a lancé une enquête pour comprendre pourquoi une grue se trouvait en piste alors que des monoplaces tournaient encore.
Cela ne devrait plus jamais se produire, encore moins par temps de pluie et par visibilité réduite. Les règlements vont devoir être modifiés pour que cela n’arrive plus - d’autant qu’il n’y avait aucune urgence à évacuer la Ferrari accidentée.
3. Les points
Après la course, toutes les écurie, et tous les commentateurs TV du monde avaient en tête le nouveau système de distribution des points en cas d’interruption des courses avant leur terme normal.
Après le fiasco du Grand Prix de Belgique 2021, qui n’avait duré qu’un tour derrière la voiture de sécurité, il avait été décidé par l’ensemble des écuries et la FIA de modifier le règlement pour attribuer moins de points dans de tels cas. (Article 6.5 du règlement sportif).
Le nouveau barème est donc entré en vigueur cette saison. Il prévoit que si la course dure moins de deux tours, aucun point ne sera distribué.
Si son leader a bouclé plus de deux tours, mais moins de 25% de la distance, des points sont distribués: 6 points pour la victoire, 4 pour la deuxième place, etc.
Si la course a duré entre 25% et 50%, un autre barème s’applique: 13 points pour la victoire, 10 pour la deuxième place, etc.
Si la course a duré entre 50% et 75%, c’est 19 points pour la victoire, 14 pour la deuxième place, 12 pour la troisième, etc.
A Suzuka, la course a duré 28 tours (au lieu de 53), donc 53%. Le barème 3 s’appliquait donc.
Max Verstappen a gagné, et Charles Leclerc a été déclassé à la troisième place. Le pilote Red Bull avait donc 7 points de plus que le Monégasque, et il n’était pas champion du monde - il lui manquait un point.
C’est le calcul de tout le paddock et de toutes les télévisions. Sauf que ce point du règlement débute par la phrase: «Si une course est suspendue et ne peut être reprise»…
Ce qui ne fut pas le cas, hier, puisque la course est allée jusqu’à la durée maximale de l’épreuve, trois heures. Techniquement, elle n’a donc pas été «suspendue», et la totalité des points (25 pour la victoire, 18 pour la deuxième place, 15 pour la troisième) a été distribuée. Donc, Max Verstappen est champion du monde, en dépit de ce que tous croyaient, y compris dans son équipe.

Max Verstappen a été sacré champion du monde, en dépit de ce que tous croyaient, y compris dans son équipe.
AFPLe règlement est donc «mal» rédigé, puisqu’il n’a pas prévu un tel cas. Si la course n’avait duré que 4 tours, parce qu’elle n’aurait pu démarrer que plus tard, son vainqueur aurait aussi reçu la totalité des 25 points. Ce n’était pas ce qui était souhaité au moment de rédiger le règlement!
Après la course, tous les patrons d’écurie l’ont reconnu: «On ne voulait pas que ça se passe comme ça quand on a écrit le nouvel article, reconnait Andreas Seidl, le patron de McLaren. Personne n’a vu cette faille dans le règlement. Nous en sommes tous responsables, on va devoir mieux travailler la prochaine fois!»
Christian Horner, le patron de Max Verstappen lui-même, n’en revenait pas: «On a fait une erreur avec ce règlement, admettait-il. On n’a pas pensé à ça quand on a réécrit les règles après Spa, l’an dernier. C’est un vide juridique qu’on a pas remarqué. Chez nous, on était certains que Max ne marquerait pas la totalité des points et qu’il lui en manquait un pour devenir champion!»
4. Le bilan de Suzuka
Résumé de cette course de Suzuka: un Grand Prix, trois problèmes et autant de sujets qu’il va falloir revoir pour l’année prochaine.
Ce n’est peut-être pas fini: aujourd’hui lundi, la FIA va publier les rapports de conformité financière après avoir analysé les comptes des écuries. D’autres scandales pourraient être en vue…