Guerre en UkraineL’arsenal nucléaire tactique, une option pour Moscou?
L’utilisation par la Russie d’une arme nucléaire tactique, plus petite en charge explosive, est une option dans la liste des innombrables scénarios de cette guerre.

Un manifestant tient une pancarte indiquant «De Trump à Poutine, deuxième danger nucléaire» lors d’une manifestation contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à Madrid, le 20 mars 2022.
AFPUne arme nucléaire tactique, plus petite en charge explosive que l’arme nucléaire stratégique, est en théorie destinée au champ de bataille et transportée par un vecteur ayant une portée inférieure à 5500 km. «Au niveau vertical, il y a un vrai risque. Ils ont désespérément besoin de remporter des victoires militaires pour les transformer en levier politique», explique Mathieu Boulègue, du centre de réflexion britannique Chatham House. «L’arme chimique ne changerait pas la face de la guerre. Une arme tactique nucléaire qui raserait une ville ukrainienne, oui. C’est improbable mais pas impossible. Et là ce serait 70 ans de théorie de dissuasion nucléaire qui s’effondrent».
Arme stratégique
La doctrine russe est sujette à débat. Certains experts et responsables militaires, en particulier à Washington, affirment que Moscou a abandonné la doctrine soviétique de ne pas utiliser l’arme suprême en premier. Moscou aurait désormais dans ses options la théorie de «l’escalade pour désescalader»: utiliser l’arme dans des proportions limitées pour forcer l’OTAN à reculer.
Mais les récentes déclarations russes ont jeté le doute sur cette interprétation. Moscou n’utilisera l’arme nucléaire en Ukraine qu’en cas de «menace existentielle» contre la Russie, a ainsi assuré mardi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov sur CNN, citant un des points de la doctrine officielle russe. «Nous n’avons rien vu qui nous conduise à conclure que nous devons changer notre posture stratégique de dissuasion», a réagi son homologue du Pentagone, John Kirby. Techniquement, Moscou est équipée.
1588 têtes déployées
Selon le très respecté Bulletin of the Atomic Scientists, «1588 têtes nucléaires russes sont déployées», dont 812 sur des missiles installés à terre, 576 sur des sous-marins et 200 sur des bombardiers. Un peu moins de 1000 autres têtes sont stockées. Pour Pavel Luzin, analyste du groupe de réflexion Riddle basé à Moscou, la Russie pourrait utiliser une arme nucléaire tactique «pour démoraliser un adversaire, pour empêcher l’ennemi de continuer à se battre». L’objectif est d’abord «démonstratif», ajoute-t-il. «Mais si l’adversaire veut toujours se battre ensuite, elle peut être employée de manière plus directe».
«Rubicon initial franchi»
«En cas d’enlisement ou d’humiliation, on peut imaginer une escalade verticale. Cela fait partie de la culture stratégique russe d’aller dans l’intimidation et l’escalade pour obtenir la désescalade», rappelle un haut gradé français sous couvert de l’anonymat. «Poutine n’est pas entré dans cette guerre pour la perdre».
Mais d’autres veulent croire que le tabou absolu demeure. Si Vladimir Poutine décide d’anéantir ne serait-ce qu’un village ukrainien pour montrer sa détermination, la zone serait potentiellement exclue de toute vie humaine pour des décennies.
«Le coût politique serait monstrueux. Il perdrait le peu de soutien qui lui reste. Les Indiens reculeraient, les Chinois aussi», assure William Alberque, de l’International Institute for Strategic Studies (IISS). «Je ne pense pas que Poutine le fera».
Reste qu’en dehors même du dossier ukrainien, la Russie ne jouirait pas aujourd’hui d’une telle stature sans l’arme nucléaire. Elle ne constituerait pas une menace d’une telle ampleur avec ses seules forces conventionnelles, qui témoignent depuis un mois d’une immense capacité de destruction mais aussi de réelles faiblesses tactiques, opérationnelles et logistiques.
Aucune certitude
Dans les chancelleries occidentales, les certitudes n’ont plus cours. «Nous n’avons aucune raison de penser que Poutine n’a pas l’intention d’aller au bout et qu’il ne va pas utiliser tous les moyens pour y parvenir (…), éventuellement par l’emploi d’armes interdites», estime un diplomate occidental, évoquant les armes chimiques.
«Le Rubicon initial a été franchi» lors de l’invasion de l’Ukraine, «il n’y a plus vraiment de limites», admet-il. Mais il espère que tienne ce «tabou qui dure depuis le 9 août 1945» et la bombe sur Nagasaki.