PandémieLes cinémas suisses à nouveau menacés, cette fois par Omicron
Sorties de films à nouveau repoussées, salles dont les portes se referment… Et si le nouveau variant comptait lui aussi pourrir la vie des cinéphiles?

Les temps s’annoncent à nouveau difficiles pour les salles romandes.
AFPLes salles de cinéma suisses sont-elles en train de revivre le scénario de novembre 2020? Alors que le variant Omicron continue de provoquer des records d’infection, dans notre pays ou ailleurs, exploitants de salles et distributeurs de films se remettent à jouer le même air qui avait précédé la fermeture des cinémas fin 2020. Au Danemark et au Pays-Bas, les salles sont à nouveau closes. C’était également le cas en Belgique, avant que le Conseil d’Etat, le 29 décembre dernier, pousse le gouvernement à faire marche arrière en annulant la décision de fermeture décrétée quelques jours plus tôt. Et aujourd’hui, Cineplex, la plus grande chaîne de multiplexes du Canada, vient, elle aussi, d’éteindre ses projecteurs. Comme par hasard, quelques heures après cette annonce, Sony actait le report de sortie de son nouveau blockbuster, «Morbius», le super-vilain vampire incarné par Jared Leto, repoussé du 26 janvier au 30 mars.
Les séniors manquent à l’appel
En France, vent de panique chez la Warner qui vient de reporter «Permis de construire», comédie avec Didier Bourdon, à peine une semaine avant sa sortie. Une déprogrammation qui n’aura pas d’influence en Suisse, où le film n’était de toute façon pas distribué, mais la Gaumont, elle, a déjà décalé la sortie de deux comédies prochainement prévues chez nous. D’abord «J’adore ce que vous faites», avec Gérard Lanvin, du 30 mars au 18 mai, mais surtout le nouveau film de et avec Franck Dubosc, «Rumba la vie».
Initialement programmé le 19 janvier, il voit sa sortie repoussée au 24 août, soit de plus de 7 mois. «A cause du contexte sanitaire, on n’a pas envie de sacrifier le film, expliquait Franck Dubosc dans une vidéo postée sur sa page Facebook. On ne peut pas risquer ce mois de janvier, dont on ne connaît pas encore les tenants et aboutissants…». Reste qu’avec ces trois comédies estampillés «séniors» (leur vedette ont respectivement 62, 71 et 58 ans), Warner et Gaumont semblent cristalliser le problème actuel: des personnes âgées qui peinent à revenir en salles. «Certes, actuellement les salles sont remplies par le jeune public avec «Spider-Man», expliquait un cadre de la Gaumont dans les colonnes du Parisien, fin décembre dernier, mais en l’espace de 10 jours on a pu constater une désaffection des 50 ans et plus».
A Genève, Laurent Dutoit, directeur de la société de distribution Agora Films, et patron des salles Scala, Nord-Sud et City, confirme: «Je le constate avec les tarifs AVS pratiqués dans nos salles, les séniors sont beaucoup moins présents». Il ne croit malgré tout pas au scénario catastrophe qui verrait les salles fermer à nouveau leurs portes dans notre pays. «Dans un lieu où les gens parlent peu, portent le masque et où la ventilation reste efficace, les risques de contamination sont extrêmement faibles. Donc je ne suis pas trop inquiet. Et puis dans leur dernier rapport, la Task Force prônait plutôt la fermeture des lieux où le port du masque n’est pas possible, comme les restaurants si le Conseil fédéral devait à nouveau serrer la vis…». Une solution qui reviendrait alors à condamner irrémédiablement la consommation de nourriture et de boisson dans les cinémas, comme c’est actuellement le cas en France.
Et ce scénario-là, certains ne le voient pas d’un très bon œil, à l’instar de Meryl Moser, directrice de Cinérive SA (14 salles en Suisse romande, entre Aigle, Vevey, Montreux…): «Ce serait une catastrophe, nous explique-t-elle. Non seulement beaucoup de gens nous disent qu’ils reviennent au cinéma parce qu’ils tiennent à leur popcorn – pour beaucoup, c’est même plus déterminant que le problème du port du masque – et ils préféreraient alors rester à la maison, mais ça reviendrait surtout à nous couper de nos principaux revenus. Il faut avoir conscience que la moitié du montant des recettes spectateurs partent chez le distributeur…».
Une fréquentation en hausse
Question chiffres, la fréquentation des cinémas suisses est pourtant repartie à la hausse en 2021. S’il y a un an, on parlait d’une perte de 70% du chiffre d’affaires des exploitants, depuis la réouverture des salles au mois de juin 2020, les choses se sont sensiblement améliorées. «Si l’on tient compte de la période d’avril à décembre 2021, par rapport à celle de 2020, continue Laurent Dutoit, on est à +26% de fréquentation. Et même +48% en Suisse romande. Par contre, on perd 37% par rapport à la moyenne des 5 années qui précédaient l’arrivée du COVID-19. C’est conséquent mais pas si catastrophique si on tient compte de toutes les personnes qui n’ont plus accès au cinéma à cause de la règle des 2G, et toutes celles qui ont encore peur de se retrouver au milieu du public. Donc je trouve finalement assez positif. On enregistre d’ailleurs actuellement de beaux résultats avec le film «La panthère des neiges». Après, il y a malheureusement une vraie polarisation: si certains titres s’en sortent très bien, pour d’autres – plus particulièrement le cinéma d’auteur –, c’est l’hécatombe avec des titres qui n’enregistrent même pas la moitié de ce qu’ils auraient pu faire avant la pandémie».
Le constat est le même pour Meryl Moser qui salue une belle fréquentation durant ces fêtes: «Spider-Man: No Way Home» attire un monde fou, nous explique-t-elle. «House of Gucci» a aussi très bien marché, même si nous aurions eu plus de monde sans le passe-sanitaire. Pendant les fêtes, les salles de cinéma sont généralement bien fréquentées. Janvier va être plus difficile, car la période est en principe beaucoup plus calme. Cela varie aussi selon les régions. Avant les fêtes, notre cinéma d’Aigle, généralement plus porteur, accusait une baisse de fréquentation plus importante que dans les autres salles. J’ai l’impression que plus on se rapproche du Valais, plus le public se montre frileux. Même au niveau du port du masque, les gens le gardent religieusement sur le nez à Aigle alors qu’à Vevey, il nous faut souvent rappeler les spectateurs à l’ordre».
Des Escape Room pour se réinventer
Alors doit-on s’attendre maintenant à d’autres défections de dernière minute sur l’agenda des sorties? Des superproductions hollywoodiennes comme «Uncharted» (prévu le 16 février), adaptation du célèbre jeu vidéo, ou le nouveau «Batman» (le 2 mars), avec Robert Pattinson, pourraient en effet avoir envie de suivre l’exemple de «Morbius». En France, un film attendu comme «Super-héros malgré lui» (le 9 février), de et avec Philippe Lacheau, ou «Les jeunes amants» (le 2 février), avec Fanny Ardant et Melvil Poupaud, visant lui aussi un public plutôt senior, seraient susceptibles de revoir leur planning… Et ainsi créer une nouvelle pénurie de films. «Le problème est toujours le même, poursuit Laurent Dutoit: on est dépendant de la France et des Etats-Unis. Si leurs salles ferment à nouveau, même si les nôtres restent ouvertes, ou si les distributeurs continuent à chambouler leur agenda, on va à nouveau se retrouver avec des films que l’on ne peut pas sortir».
En attendant, Meryl Moser n’en a pas hésité à réinventer la gestion de ses salles: «Je suis d’habitude plutôt optimiste mais là je pense que nous en avons encore pour un an ou deux à ce rythme. Malgré tout, cette crise nous a au moins permis de nous diversifier. A Vevey, au Rex, nous avons fermé une salle pour créer deux Escape Room. Une sur le thème de Harry Potter et l’autre sur The Shining. Et les gens adorent. Ça marche du tonnerre et ça nous permet de rester dans l’univers du cinéma. Nous en avons d’ailleurs d’autres en projet et nous allons continuer à explorer des pistes complémentaires pour nos salles. Un des bons moyens pour attirer le public aujourd’hui».