CommentaireLe choix d’«emmerder» les Français ou pas
En choisissant une expression des plus triviales, Emmanuel Macron a fait un dérapage plutôt contrôlé en dehors des clous de la bienséance. Il a fait passer le message: quand je suis excédé, je parle comme vous.


Emmanuel Macron utilise la langue française de manière très éclectique, mélangeant de nombreux niveaux de langage.
AFPLe verbe «emmerder» choisi par Emmanuel Macron pour cibler les personnes non vaccinées a suscité un tollé en France. C’est un vocabulaire «indigne de la fonction», a réagi Marine Le Pen. Mais dans son camp, on prend sa défense. Selon un élu: «Je ne considère pas que nommer les choses, paraphraser le président Pompidou, ce soit agresser celles et ceux qui aujourd’hui ne veulent pas se vacciner».
«Arrêtez donc d’emmerder les Français!»
En utilisant le verbe «emmerder», il a donc fait référence à son lointain prédécesseur Georges Pompidou. Dans une anecdote devenue célèbre, celui-ci avait déclaré à son chargé de mission de l’époque, le jeune Jacques Chirac: «Mais arrêtez donc d’emmerder les Français. Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays! On en crève! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux! Foutez-leur la paix! Il faut libérer ce pays! »
L’utilisation d’une expression triviale sur ce sujet est très certainement calculée par le président. Il enfile son costume de gilet jaune pour parler aux récalcitrants de la piqûre. À quelques mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron descend de son Olympe pour dire aux Français: quand je suis excédé, je peux être vulgaire, je parle comme vous. D’aucuns en parlent déjà comme d’un magistral coup de comm’.
«Les peurs obsidionales»
Le président est un fin connaisseur de la langue française. Il manie avec un plaisir non dissimulé les niveaux de langage et les lexiques atypiques. Il aime surprendre, parfois avec des vieilleries comme «poudre de perlimpinpin», «croquignolesque» ou «galimatias». L’année dernière, il avait utilisé «palimpseste des migrations» pour parler de la ville Marseille. Lors de son discours aux Armées, il avait évoqué «les peurs obsidionales», qui évoquent les villes assiégées. D’autres fois, il fait usage de mots à consonance philosophique, comme «irénisme», «disruption» ou «ipséité».
«Un pognon de dingue» et des regrets
À d’autres occasions, il flirte avec la rue: «On met un pognon de dingue dans les minimas sociaux, disait-il en 2018, et les gens sont quand même pauvres». Lors de l’inauguration de la transformation d’un bâtiment ferroviaire à Paris, il avait déclaré: «Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien». Mais, le 15 décembre dernier sur TF1, il avait regretté: «La phrase qui est inacceptable, c’est celle où je parle des gens qui ont réussi et de ceux qui ne sont rien. Dans certains de mes propos, j’ai blessé des gens, Je pense qu’on peut bouger les choses sans blesser les gens, et c’est ça que je ne referais plus».
L’arroseur arrosé?
Trois semaines plus tard, vouloir emmerder encore davantage les non vaccinés constitue semble-t-il un flagrant délit de récidive. Toujours est-il qu’il a pris de court ses adversaires en se montrant si dur, là où on ne l’attendait pas. Cette provocation est aussi une façon d’affirmer son autorité face à ses concurrents, de montrer qu’il est sûr de lui et qu’il peut tout se permettre. L’avenir dira si ce dérapage en terre vulgaire était bien calculé. Ou s’il finira comme l’arroseur arrosé.