Football - Réussir son tir au but, c’est mathématique

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FootballRéussir son tir au but, c’est mathématique

Chaque séance de tirs au but met les nerfs à l’épreuve. Elles sont pourtant l’illustration d’un problème de probabilités. Plongée dans le monde merveilleux de la théorie des jeux.

Rebecca Garcia
par
Rebecca Garcia
Haris Seferovic a manqué son face-à-face avec Peacock-Farrell, en septembre dernier à Belfast.

Haris Seferovic a manqué son face-à-face avec Peacock-Farrell, en septembre dernier à Belfast.

AFP

Si seulement un tir au but était inratable. Les supporters suisses ont pu le voir avec Seferovic à Belfast, en septembre dernier, mais aussi pendant toute l’étendue de l’Euro 2020: pas facile de mettre le ballon au fond. Il y a des joueurs connus pour être bons dans l’exercice. Un Ronaldo, un Zidane ou un Bruno Fernandes. Les économistes, eux, le sont à travers la théorie des jeux. Le principe est simple.

Le gardien a deux solutions: plonger à droite ou à gauche. Le tireur doit aussi choisir de tirer entre la droite et la gauche. Au final, si le joueur met la balle au fond des filets, c’est que logiquement, le gardien ne l’a pas arrêtée. La probabilité d’arrêter la balle est inverse à celle de réussir le tir, c’est ce qu’on appelle un jeu à somme nulle. Quant aux tirs aux centres, ils ne contredisent pas le modèle. Ils apparaissent en trop petit nombre pour être comptabilisés au même titre que les autres. Cela risque toutefois de changer puisque le milieu qui représentait moins de 5% des tirs il y a 20 ans compte aujourd’hui pour près de 10% des tirs au but.

Où tirent les droitiers?

Où tirent les droitiers?

Soccerment Research.

Attentes vs réalité

La prédiction se montre proche de la réalité. Le chercheur Palacios-Huerta, qui a largement contribué à cette théorie, a comparé les données avec des observations réalisées dans les championnats espagnols, italiens et anglais. 1417 penalties figurent dans la banque de données. «C’est l’avantage de ces études: il y a beaucoup de chiffres disponibles», explique Mehdi Farsi, professeur à l’Université de Neuchâtel. S’il y a des côtés préférés de certains tireurs ou de l’intox de la part des gardiens, la globalité des tirs entraîne des résultats proches de l’équilibre de Nash - un concept économique. Le titulaire de la chaire de microéconomie précise que le modèle ne sert pas tant à prédire, mais plutôt à comprendre. «Il faut ajouter les émotions à l’équation», lance encore le professeur.

Autrement dit, les mathématiques pures seront insuffisantes pour comprendre l’entier d’une séance de tirs au but. Le contexte du match, l’état de forme des joueurs, l’intimidation adverse ou encore les supporters sont autant de variables qui font varier les pronostics.

Pas totalement déterministe, mais assez utile pour que l’une des figures de la théorie des jeux soit engagée par un club de football. Ignacio Palacios-Huerta a en effet été engagé en plus de son travail de professeur à la London School of Economics. Sur son CV, il mentionne qu’il fait partie de l’Athletic Bilbao.

Le moment du match durant lequel le penalty est tiré a également son importance. Le chercheur londonien indique le taux de réussite du tireur selon l’écart des buts entre les équipes. Si une équipe mène d’un but, l’attaquant a tendance à davantage rater son tir que si le score est à égalité.

La meilleure stratégie est…

Pour réussir ses tirs au but, il suffit de les diversifier. Un joueur connu pour toujours tirer en haut à droite facilite le travail du gardien adverse. S’il varie ses frappes, il augmente ses chances de marquer. Un exemple de bon tireur est Zinédine Zidane. Nicolas Eber, auteur du livre «Théorie des jeux», note que le Français a tiré 21 fois à droite et 19 fois à gauche sur 40 penalties observés. Ses taux de réussite s’établissent respectivement à 76% et 74%. Depuis, le football a eu droit à de meilleurs tireurs. Bruno Fernandes a par exemple un taux de conversion de 95,8%. Il a réussi 45 de ses 47 tentatives dans les données sorties par Soccerment. Lui aussi tend à varier entre la gauche et la droite.

Tantôt à gauche, tantôt à droite: le Portugais sait varier ses tentatives.

Tantôt à gauche, tantôt à droite: le Portugais sait varier ses tentatives.

Soccerment.

Attention toutefois, puisque la liste des «meilleurs tireurs de la saison 2020-2021» a son lot de surprises. Sportskeeda plaçait dans son classement Kylian Mbappé (auteur du raté contre la Suisse) et Jorginho (lui aussi a manqué le coche contre la Nati, en septembre). Chez Goal.com, on plaçait Marcus Rashford parmi les meilleurs tireurs, ce qui ne l’a pas empêché de se rater en finale face à l’Italie.

«Il y a une guerre psychologique qui se met en place entre le tireur et le gardien, affirme Patrick Foletti, entraîneur des gardiens de l’équipe de Suisse de football. Le portier doit réussir à déstabiliser l’adversaire, à lui faire comprendre qu’il ne marquera pas. Cela passe par des regards, des mouvements ou même des petits mots quand le tireur prend la balle.»

Comme quoi, toute la technique du monde ne suffit pas si la pression prend le dessus. Ou si on tombe sur un gardien plus fort que soi.

Sommer parmi les grands

Yann Sommer prouve match après match qu’il est à l’aise dans l’exercice. Le portier suisse a arrêté 20 tirs au but dans sa carrière, il en a laissé passer 63. Parmi les gardiens de classe mondiale, il s’en tire plutôt bien. «Il y a mille petits détails à regarder», confie Patrick Foletti. L’entraîneur des gardiens de la Nati évoque un mélange de travail rationnel et de facteurs mentaux et émotionnels. «Je dis toujours à mes gardiens d’écouter leur intuition. Si on a toutes les raisons de penser que le joueur va tirer à gauche mais que le gardien a envie d’aller à droite, il doit s’écouter», affirme-t-il.

Certains gardiens sont particulièrement bons dans l’exercice.

Certains gardiens sont particulièrement bons dans l’exercice.

Chiffres: transfermarkt.

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