ZoologieLes pieuvres programmées pour s’auto-détruire après le sexe
La femelle cesse de se nourrir, se mutile et meurt avant même souvent que ses œufs n’éclosent. Les scientifiques commencent à comprendre pourquoi.


La glande optique, qui se trouve entre les yeux de la pieuvre et joue un rôle similaire à notre hypophyse, fait partie du mécanisme d’autodestruction de l’animal.
Getty Images/iStockphotoLes pieuvres sont les invertébrés qui ont le plus gros cerveau par rapport à leur taille. Et dans le règne animal, qui dit gros cerveau dit généralement longue vie. Mais pas chez la pieuvre, qui ne vit généralement qu’une année. La femelle meurt souvent avant l’éclosion de ses œufs.
Sa fin est même dramatique. Elle cesse de se nourrir. En captivité, on a même observé qu’elle accélérait le processus en s’automutilant: elle s’arrache la peau et mord le bout de ses tentacules, explique Eurekalert. Selon les scientifiques, elle semble même devenir folle avant de mourir. Un comportement qui a depuis longtemps intrigué les chercheurs qui, dès 1944, ont supposé qu’elle devait posséder une sorte de mécanisme d’autodestruction, sans toutefois trouver lequel.
En 1977. un psychologue de l'Université Brandeis, Jerome Wodinsky, tient une piste. En enlevant la glande optique à des femelles poulpes, celles-ci abandonnent leurs œufs, se remettent à se nourrir et vivent plus longtemps. Cette glande, qui se trouve entre les yeux de la pieuvre, joue le même rôle que l’hypophyse qui sécrète les hormones chez l’homme. Mais on ne savait toujours pas pourquoi elle provoquait cette mort programmée chez la pieuvre.
En lien avec le cholestérol
En 2018, deux chercheurs de l’Université de Chicago séquencent l’ARN de cette glande chez des femelles à différents stades de leur autodestruction, afin de savoir quels processus sont en œuvre. Ils constatent une activité accrue dans les gènes métabolisant le cholestérol et produisant des stéroïdes.
Dans une nouvelle recherche parue le 12 mai dans «Current Biology», les mêmes chercheurs ont vu que, après l’accouplement, cette glande optique sécrète vraiment plus d'hormones sexuelles, d'hormones analogues à l'insuline et de précurseurs du cholestérol. Soit elles déclenchent un mécanisme d’autodestruction et des troubles de l’alimentation, soit c’est leur accumulation qui pourrait être mortelle.
Le 7-déhydrocholestérol (7-DHC), ce précurseur du cholestérol détecté, est également toxique lorsqu’il atteint des niveaux élevés chez l’homme. C’est le syndrome de Smith-Lemli-Opitz et les enfants qui en sont atteints ont de fort troubles du développement et du comportement, dont des automutilations. Ce qui présente donc des similitudes avec ce qui a été observé chez les pieuvres. C’est l’une des explications mais sans doute pas la seule pour comprendre l’autodestruction de cet animal.
Les chercheurs vont poursuivre leurs travaux sur la petite pieuvre rayée du Pacifique qui présente comme particularité de ne pas mourir après la reproduction. Analyser sa glande optique pourrait montrer pourquoi elle ne partage pas les mêmes caractéristiques que les pieuvres qui ne se reproduisent qu’une fois, mais en pondant 50 000 œufs en moyenne, avant de périr.