Maman décédéeLe gynécologue vaudois admet un manquement à demi-mot
Accusé d’être à l’origine du décès d’une mère de 31 ans en 2017, le médecin s’est bien passé de l’avis d’un urologue, qui l’aurait sans doute sauvée.
- par
- Evelyne Emeri
C’est sans nul doute un des rares moments où l’obstétricien de 53 ans qui comparaît depuis lundi pour homicide par négligence à Nyon (VD) n’aura pas été «bridé» par son avocate. À l’ouverture du procès, passablement bouleversé, il fait une sorte de déclaration. De celle que l’on réserve, en principe, à la Cour avant qu’elle ne se retire pour délibérer. Parce que l’accusé est en droit de prononcer les derniers mots qui closent les débats: «Ça a été un choc quand j’ai appris le décès de Marie*. C’est une catastrophe, une tragédie. Les enfants n’ont plus de maman. C’est dramatique pour le reste de la famille. Ça nous a profondément marqués, tous. Je suis sincèrement désolé». Puis le prévenu ne dira plus rien de personnel. Ou qui ressemblerait à des excuses envers le mari de la parturiente, envers sa mère et son frère, assis à quelques mètres.
Il est parcimonieux en mots lorsqu’il s’agit de parler de son erreur potentielle, soulevée par l’instruction. Il l’est moins quand on l’interroge sur sa spécialisation et son palmarès. Il y a visiblement une crainte de s’exprimer. Au point que le procureur Christian Buffat finira par lui demander «s’il est limité dans ses déclarations?» «Non, personne ne fait pression sur moi», réplique le praticien auquel il est reproché de ne pas avoir diagnostiqué une pyélonéphrite sévère (ndlr. complication d’une infection urinaire qui remonte jusqu’aux reins) chez Marie. Ce qui a entraîné un choc septique fatal le 23 juillet 2017 après une forte fièvre et des vomissements, quinze jours après son retour à la maison. Cette nuit-là, elle n’a pas appelé les urgences, elle ne voulait pas retourner à l’hôpital.
Trois orphelines
Le présumé coupable hérite de ce cas compliqué après un accouchement d’urgence par césarienne le 1er juillet 2017. Déchirures à l’utérus, au vagin et à la vessie. En entrant dans la salle d’opération, il s’est exclamé: «C’est quoi ce chantier, qu’est-ce que vous avez fait?» en s’adressant à ses deux collègues «embêtés». Le médecin-chef se justifie: «Ces propos ont été tenus dans le feu de l’action et je m’en excuse». La maman, qui vient de rencontrer sa dernière fille – qui a désormais 6 ans et ses aînées 10 et 13 ans -, est sous rachianesthésie (anesthésie locorégionale). Elle l’entendra prononcer cette horreur, elle n’est pas encore sous anesthésie générale.
Indicateurs clairs
Tout l’enjeu de cette audience tourne autour d’un avis urologique qui aurait été demandé et jamais recueilli. Pour l’accusation et selon l’expertise urologique, ledit avis aurait très probablement permis de sauver la mère de famille. L’obstétricien a effectivement contacté un confrère urologue par téléphone au moment où il est au bloc opératoire en train de réparer et suturer les tissus et les organes endommagés: il craint d’avoir sectionné l’uretère gauche (ndlr. canal qui conduit l’urine du rein à la vessie). Les manipulations chirurgicales sont multiples et extrêmement complexes. Le spécialiste en urologie le rassure et lui recommande un CT-scan post-opératoire 48h après l’intervention.
Une sonde pour drainer
Le scanner du 3 juillet 2017 ne révélera rien de précis sur l’uretère. En revanche, il montrera un retard d’excrétion du rein gauche. Première alerte. S’enchaîneront les douleurs de Marie le soir même dans le bas du dos et des valeurs de créatinine anormalement hautes, indicatrices d’une possible pathologie rénale. À eux seuls – il y en a d’autres –, ces éléments auraient dû pousser le prévenu à exiger de ce même confrère un véritable avis urologique, circonstancié et par écrit. Et à mener des investigations poussées qui auraient conduit à diverses interventions pour vérifier le rétrécissement de l’uretère gauche à proximité de ses propres points de suture. En clair, une endoscopie et la pose d’une sonde pour drainer le rein gauche obstrué.
Le plus grand flou persistera dans ce dossier quant aux échanges informels qui ont eu lieu – ou pas – entre le gynécologue et l’urologue. «Ce dernier se souvient du téléphone depuis le bloc mais pas d’avoir été recontacté par la suite», affirme le procureur Christian Buffat. L’accusé: «Je ne me l’explique pas». «Pourquoi avoir renoncé à obtenir cet avis?» surenchérit le magistrat. Le quinquagénaire d’expliquer: «La patiente était déjà sous antibiothérapie en raison de son intervention et de sa sonde vésicale (ndlr. ce qui a pu juguler temporairement les symptômes d’une pyélonéphrite). Si l’évolution avait été défavorable, je m’attendais à une proposition du Dr X. J’étais persuadé qu’il avait jeté un œil. Comme je n’ai pas eu de retour, j’ai cru qu’il n’y avait rien de plus à faire».
La faute à qui, alors?
Expérimenté et reconnu par ses pairs, le coupable présumé comptabilise entre 8000 et 10 000 accouchements pratiqués ou supervisés. Le cas de Marie est certes une première pour lui. Alors, à qui incombe la faute? Sa réponse: «La faute à une suite d’événements malheureux, je ne sais pas ce que je peux dire de plus. Je me suis donné à fond pour assurer un suivi personnel optimal. Peut-être que je n’ai pas été assez convaincant auprès d’elle pour qu’elle vienne consulter en cas de problèmes». Le Ministère public de charger à nouveau: «A dire d’expert, la situation préconisait la pose d’une sonde, comment vous déterminez-vous?» Réplique cinglante de l’obstétricien: «Un avis urologique a été demandé, puis voilà».
«Oui, d’accord avec ça»
Dernière salve du parquet: «Admettez-vous que vous auriez dû recueillir cet avis urologique?» Réponse: «Oui, d’accord avec ça. J’ai cru l’avoir obtenu. Je me suis dit: «Pas de nouvelles, bonnes nouvelles». Le procureur ironise: «Moi, je dis: «Pas de nouvelles, pas de nouvelles». La patiente n’a pas bien évolué. Elle est morte!» Dans la même ligne, et c’est loin d’être anodin, un infectiologue mandaté par la défense est venu confirmer à la barre, après avoir slalomé durant plus de deux heures, que «si l’obstruction du canal (rein-vessie) avait été documentée et qu’une sonde urétérale (ndlr. sonde urinaire) avait été posée, le risque d’issue fatale aurait été clairement évité».
Le procès se poursuit ce mardi.
*Prénom d’emprunt