AthlétismeCommentaire: Justin Gatlin, le lépreux du sprint
Champion olympique du 100 m en 2004, champion du monde en 2017. Entre ces deux dates, une lourde suspension pour dopage. Justin Gatlin a réussi à renouer le fil d’une carrière, sans jamais se débarrasser du poids du soupçon.


Justin Gatlin en mai 2021 à Tokyo, lors d’un meeting pré-olympique: la solitude du banni.
AFPJustin Gatlin, le sprinter à la triste figure, comme il y eut Don Quichotte, le chevalier à la triste figure, fatigué d’embrocher le vent que font les moulins… Justin Gatlin, champion olympique du 100 m en 2004, puis champion du monde treize ans plus tard, affichait sur son visage le chagrin du soupçon, qui jamais ne se dissipe. À 39 ans, il vient d’annoncer sa retraite sportive.
Il a 21 ans, quand il devient champion du monde en salle sur 60 m, en 6’’46; 22 ans quand il devient champion olympique à Athènes en 9’’85. Il court vite, malgré la casserole qu’il traîne aux fesses: en 2001, près de deux ans avant son titre indoor, Justin Gatlin avait été contrôlé positif aux amphétamines. Il ramasse deux ans de suspension, plaide un déficit de l’attention ou une hyperactivité qui fut diagnostiquée durant son enfance, la fédération internationale d’athlétisme réexamine son cas et lève la sanction. Il peut marcher sur Athènes, comme d’autres Césars marchèrent sur Rome. En 2005, il réussira le doublé aux championnats du monde, 100 et 200. Il remporte le 100 m avec 17 centièmes d’avance, ce qui reste le plus gros écart jamais enregistré dans cette compétition. Entre un Maurice Greene déclinant et un Usain Bolt en vagissant, Gatlin est seul au monde.
«Quatre ans de suspension quand la vie tient en dix secondes. Autant dire une éternité.»
On sait bien que la roche tarpéienne est proche de l’Acropole: le 29 juillet 2006, Gatlin annonce qu’il a été contrôlé positif à la testostérone. Il devait en prendre pour huit ans, il s’en tire avec une suspension de quatre ans.
Quatre ans, quand la vie tient en dix secondes. Autant dire une éternité. Mais Justin Gatlin reviendra: il a en lui quelque chose d’indestructible et c’est pour ça qu’il faut l’admirer. Avant que le mot de résilience ne soit le leitmotiv des psychiatres autodidactes, Gatlin en donne le parfait exemple. C’est dans la deuxième partie de sa carrière, celle de la rédemption, qu’il courra le plus vite: 9’’74 sur 100 m et 19’’57 sur 200 m, les deux fois en 2015. La même année, il s’en fallut d’un centième pour que l’athlétisme ne s’effondre: 9’’79 pour Bolt, 9’’80 pour Gatlin en finale des championnats du monde de Pékin.
L’époque n’est pas à l’angélisme. Un homme peut-il courir plus vite que son passé si chargé? Des scientifiques s’interrogent: les effets du dopage sont-ils infinis? Peut-être que la testostérone a transformé à tout jamais le corps de Justin Gatlin… Il est cet homme augmenté qu’annonce la science-fiction.
Justin Gatlin ne se défendra pas: il sait qu’il est un coupable idéal dans ce sprint qui veut croire en la pureté de Bolt. Tyson Gay, Asafa Powell, Nesta Carter, Yohan Blake, Christian Coleman, ils sont tous tombés pour dopage, mais Gatlin reste le seul lépreux, qui secoue sa clochette dans la chambre d’appel.
En 2017, à Londres, Gatlin deviendra pour la deuxième fois champion du monde du 100 m. Là où l’on aurait pu s’attendre au rugissement de la bête en rut, l’Américain vint se prosterner devant Usain Bolt, qu’il avait renversé. Gatlin, pauvre pécheur, s’en venait chercher auprès de son seigneur un pardon que les autres lui refusaient.