FootballServette a adopté le remède de la prudence
Les Grenat se déplacent à Lucerne samedi (20h30), avec l’ambition de poursuivre leur bonne série. Celle-ci s’est caractérisée par une approche plus attentiste et basée sur les transitions. Décryptage en chiffres et en images.


En étant solidaire en défense et efficace en attaque, Servette a su mettre fin à sa série noire pour démarrer un cycle vertueux.
LafargueQuand les faits sont têtus, il vaut mieux les comprendre. Quand Servette s’apprête à terminer l’année à Lucerne samedi (20h30) avec l’espoir d’enchaîner un cinquième match consécutif sans défaite, cela induit un rappel: il y avait eu avant ça une horrible série de sept rencontres infructueuses, entre nuls et revers. La crise était la thématique du moment, et puis la trêve internationale de novembre a permis de tourner la page.
Lors des quatre derniers matches (Grasshopper, Lausanne, Young Boys et Bâle), les Grenat en ont remporté trois pour un nul contre les Rhénans. Mais ils ont surtout gagné en efficacité. Dans tous les domaines: ils marquent plus que jamais (2,5 buts par match, pour 1,37 pendant la série noire) et encaissent beaucoup moins (1,25 par match, contre 2,43 lors des sept précédents).
Le changement n’est pas anodin. Il s’explique aussi dans le style. Servette a perdu un peu de son audace et de ses ambitions incarnées par son jeu de possession, pour s’inscrire dans un registre plus prudent. Qui fait pour l’instant ses preuves.
Attentiste, mais pas inactif
À Servette, il y a eu une évolution ces dernières semaines. Et elle est majeure: les Genevois acceptent de ne plus avoir le ballon. Ils ne le veulent pas, ou en tout cas se contentent très bien de ne pas l’avoir. Bien sûr, à jouer Young Boys et Bâle dans cet intervalle de quatre matches, cela peut être naturel.
Mais si les Grenat présentent une moyenne de moins de 43% de possession dernièrement, c’est aussi parce qu’ils ont laissé GC et Lausanne l’avoir plus qu’eux. Autrement dit, Servette a choisi de déléguer la responsabilité de faire la majeure partie du jeu, pour mieux valoriser ses propres moments avec ballon.
Cette décision s’accompagne aussi d’une approche sans ballon également plus raisonnée. «Avant, on avait la maîtrise, mais on prenait le risque de s’exposer», expliquait Vincent Sasso après le nul 2-2 contre Bâle dimanche dernier. La formation d’Alain Geiger n’a toutefois jamais été une équipe particulièrement portée sur le pressing.
Que ce soit en termes d’intensité ou de positionnement. Le gardien adverse a toujours eu la possibilité de jouer vers ses défenseurs, avant que Servette se mette plus ou moins en action, sans pour autant fermer ou orienter certaines passes. Même si le bloc a pu être relativement haut dans certains matches.
Ces derniers temps, en revanche, le point d’équilibre a été placé plus bas. Le bloc servettien est plus attentiste, plus passif dans les premiers mètres. Il est médian ou bas selon les matches (très regroupé contre YB, par exemple). Mais il y a certains principes que l’on retrouve, qui s’adaptent à l’adversaire: Servette a ainsi un positionnement très orienté homme au milieu. Le marquage n’est pas forcément individuel, mais Douline (Servettien qui dispute le plus de duels défensifs en moyenne), Cognat et Valls sont toujours proches de l’adversaire actif dans leur zone. Et, selon le système de l’adversaire, Cognat et Valls accompagnent Kyei à tour de rôle pour empêcher la progression des défenseurs centraux adverses, dans une forme de 4-4-2.
Dans les chiffres, cela se ressent. Le PPDA, qui mesure le nombre de passes accordées à l’adversaire dans la moitié adverse, s’est élevé. Signe d’un recul sur le terrain. Et Servette, sans surprise, récupère une plus grande proportion de ses ballons dans sa zone 1 qu’avant. Aujourd’hui, près d’une récupération sur deux se fait à proximité des buts de Jérémy Frick. Non sans chercher à les exploiter.
Le choix des transitions
Le constat sautait aux yeux: Servette n’avait rien d’une équipe déséquilibrante au cœur de l’automne. Les longues séquences face à des défenses en place se répétaient, sans pour autant que la solution soit trouvée. «Nous avions beaucoup le ballon, mais nous n’étions pas très efficaces, reconnaît Geiger. Nous avons donc recadré ça pour adopter une approche avec un bloc bas et des transitions.» Concrètement, le SFC a clairement moins la balle qu’avant, mais il cherche à rendre pertinent chacun de ces moments.
Cela passe par une projection beaucoup plus directe, vers l’avant. Et notamment à la récupération. Le porteur de balle se focalise sur les opportunités de passes se situant devant lui, même si elles sont très longues, alors que les appels de ses coéquipiers sont simultanés et dans l’espace qui se libère face à eux. La temporisation n’est qu’une alternative si le plan A n’est pas possible. Ainsi, Servette effectue moins de passes, mais la proportion de celles qui sont faites vers l’avant est passée de 32,7% lors de la série noire à 37,5% désormais. Augmentation relative, mais qui reste significative.
Le choix semble se révéler judicieux. Il convient bien aux qualités de certains de ses joueurs les plus importants: Timothé Cognat s’exprime parfaitement lorsqu’il peut attaquer un espace en conduite, Miroslav Stevanovic raffole des courses vers l’avant, Kastriot Imeri a la qualité de passe pour faire la différence en transition offensive. Et Moussa Diallo, malgré ses carences techniques, légitime sa titularisation dans ce projet au détriment de Sauthier pour sa recherche permanente de la projection.
Surtout, l’approche permet à Servette de se rapprocher des buts adverses. En effet, au lieu de «tourner autour de la surface» et de prendre une position de tir lointaine, les Genevois peuvent «pénétrer» dans les 16 mètres et s’essayer de l’intérieur de ceux-ci. Leur position moyenne de frappe est 4 mètres plus proches des buts sur les quatre derniers matches que précédemment. Plus facile de marquer des buts.
Le cynisme paie
L’approche adoptée depuis quatre semaines fonctionne. Dans les résultats, notamment. Mais également dans la création. Globalement, sur ces quatre matches, Servette n’a pas surperformé: ses Expected Goals créés et concédés correspondent aux buts effectivement inscrits et encaissés. Il y avait en revanche une légère sous-performance lors de la période précédente, induite sans doute aussi par un perceptible manque de confiance. Et peut-être une certaine défiance envers une approche qui ne portait plus ses fruits.
Depuis, Servette s’est résolu à un certain cynisme. Ou une rationalité. Les Grenat ne prennent plus de risques dans leur camp. Un exemple? Les dégagements aux 6 mètres de Frick. Alors qu’il tendait parfois à chercher à repartir depuis l’arrière, il faut désormais le plus souvent le choix d’allonger. Avec Kyei ou Stevanovic comme cibles, cela peut se justifier.
Et puis, Servette est devenu extrêmement fort lorsqu’il s’agit d’être efficient dans les deux surfaces. Dans le secteur offensif, la valorisation est même extrême: les Servettiens ont en moyenne 20% de chance de trouver la faille lorsqu’ils prennent une frappe. Cela sous-tend cependant une légère surperformance, sachant que la moyenne en Super League est de 12%. Mais c’est aussi le signe que Servette ne tire plus n’importe comment.
Autre interprétation possible, sur le versant défensif: la protection du but se veut désormais plus précise. La défense de surface est efficace et les adversaires en sont résolus à frapper d’où ils peuvent. Un élément qui est logiquement accentué par l’effet du score, puisque Servette a souvent mené lors des derniers matches.
Reste que Servette ne s’embarrasse plus à construire des actions qu’il ne sait plus développer. Ce qui ne veut pas dire que les Grenat font n’importe quoi du ballon. Même lorsqu’ils repartent de l’arrière, en action placée, ils cherchent à progresser rapidement dans le terrain, et de manière rapide. Histoire de casser des lignes et de déborder l’adversaire. Cela leur réussit très bien pour l’instant.
Mais pour combien de temps encore, sachant que tous les adversaires ne se laisseront pas faire et finiront par s’adapter, par forcer Servette à procéder sur des actions plus lentes? La lanterne rouge Lucerne adoptera-t-elle déjà cette idée samedi? Cela forcerait les Genevois à trouver des réponses. Qui pourront leur servir aussi en 2022.