Plateformes de diffusionLa messe est-elle dite pour Netflix?
Le service américain s’attend à perdre 2 millions de nouveaux abonnés ces prochaines semaines et multiplie les mesures pour enrayer sa chute.

Une page d’accueil de Netflix en Suisse.
drRien ne va plus au royaume du gros N rouge. Depuis l’annonce de la perte de 200’000 abonnés Netflix en avril dernier, une première après dix années de croissance ininterrompue, pas une semaine ne passe sans que de nouvelles mesures de redressement ne soient évoquées. La dernière en date? Un récent article du «Hollywood Reporter» annonce la fin de l’ère des projets d’auteurs pharaoniques à la «The Irishman», de Martin Scorsese, et ses 175 millions de dollars de budget.
Selon plusieurs sources internes, Netflix aurait en effet dorénavant décidé de concentrer ses forces sur des projets vraiment populaires, là où la compagnie est sûre de récupérer ses billes.
Il faut d’abord relativiser: les 200’000 abonnés perdus durant le premier semestre de l’année ne représentent en réalité qu’une broutille pour le géant du streaming, soit moins du 0,1% de sa clientèle totale. Avec 221,6 millions d’abonnés, Netflix est encore le leader incontesté des plateformes. Le problème, c’est que durant le semestre en question, la firme avait en réalité prévu de gagner 2,5 millions de clients et que le retour de bâton est donc finalement assez sévère. Il s’explique en partie parce que les dirigeants ont choisi de suspendre leur service en Russie, et donc de faire une croix sur 700’000 foyers, mais également par la fin de deux années de confinement qui avaient dopé les abonnements, ainsi que par la montée en puissance des concurrents, Disney+ et Amazon Prime Video en tête, avec chacun un peu plus de 200 millions d’abonnés.
50 milliards de dollars volatilisés
Plus inquiétant, la plateforme s’attend pour le deuxième semestre au départ de 2 millions d’abonnés supplémentaires. Sachant que l’action avait perdu 35% de sa valeur à l’annonce du premier recul, en avril dernier, voyant ainsi se volatiliser l’équivalent de près 50 milliards de dollars de capitalisation, les têtes risquent de commencer à tomber dans les bureaux de Los Gatos.
«Voilà un moment que je vois se dessiner le déclin de la plateforme, analyse Anthony Jerjen, cinéaste et producteur genevois qui a réalisé en 2018 le thriller américain «Inherit the Viper». Je la vois même disparaître d’ici une dizaine d’années. Le problème, avec Netflix c’est que les utilisateurs constituent sa seule source de revenu et que la société se retrouve face à des concurrents – Apple, Amazon et Disney – pour qui le marché vidéo ne représente qu’une minorité de leur chiffre d’affaires, entre leurs produits high-tech, leur service de livraison et leurs parcs d’attractions. Le marché est limité et Netflix le sait. Alors que leur reste-t-il? Augmenter encore le prix des abonnements? J’ai plutôt l’impression qu’ils ont déjà atteint le seuil psychologique maximal de ce que les gens sont prêts à dépenser pour un service de streaming et qu’ils se retrouvent dans une impasse.»
Exit, les films d’auteur
Pour essayer de relancer sa croissance, le service de SVOD explorerait plusieurs pistes. Il y a d’abord eu le licenciement d’une partie de ses effectifs: environ 150 employés, soit le 2%. Une mesure dérisoire, surtout destinée à rassurer les actionnaires, mais intéressante dans la mesure où elle semble s’appliquer à des départements bien précis, si l’on en croit l’article du «Hollywood Reporter». En l’occurrence ceux de la jeunesse et des films indépendants, qui ont tous deux vu bon nombre de leurs projets gelés. Il y a quelques mois, on saluait pourtant encore Netflix comme le sauveur des films à petit budget, un créneau auquel Hollywood avait fini par tourner le dos, car pas assez rentable. Or, Netflix effectuerait maintenant un virage à 180° pour se tourner exclusivement vers des productions spectaculaires, à l’instar des récents «Red Notice» ou «Don’t Look Up».
«Ce n’est pas si étonnant, rétorque Anthony Jerjen. Netflix s’est toujours référé à ses algorithmes d’analyse et ceux-ci ont dû leur signifier que les abonnés n’étaient pas si friands de ce genre de programmes. La société ne s’est d’ailleurs jamais cachée vouloir rivaliser avec les gros studios hollywoodiens et je suis persuadé qu’en dehors des séries, on n’y trouvera bientôt plus que de gros films prestigieux.»
De la pub pour renflouer les caisses
Autre piste envisagée par le géant américain: la publicité. Un système auquel Reed Hastings s’était toujours opposé pour sa plateforme. Mais ça, c’était avant la déconvenue d’avril dernier. Depuis, le CEO a été contraint de mettre de l’eau dans son vin et promet maintenant l’arrivée d’un abonnement meilleur marché, mais incluant des coupures publicitaires dans les programmes, d’ici un ou deux ans. Une annonce faite quelques mois à peine après celle de Disney+ stipulant la prochaine mise en place d’un système similaire.
«Personnellement, je ne crois pas que cette offre attirera beaucoup d’abonnés supplémentaires, poursuit Anthony Jerjen. Pourquoi payer et avoir de la pub? À l’origine, le fait de payer était justement pour être débarrassé de la pub… Disney peut se le permettre parce que son catalogue rassemble les films les plus connus au monde. Mais ce n’est pas le cas de Netflix.»
À côté de ça, le streamer a également décidé de régler une bonne fois pour toutes le problème du partage de comptes illicites, estimant à près de 100 millions le nombre de foyers regardant ses programmes sans payer. La firme est ainsi en train de tester une nouvelle politique tarifaire sur 3 petits marchés d’Amérique latine: le Pérou, le Costa Rica et le Chili. À chaque fois que le géant du streaming repère un compte partagé, il contacte l’abonné en lui proposant de s’acquitter d’un surcoût d’environ 3 fr. par foyer supplémentaire. Selon l’analyste Paul Erickson, qui s’est confié au média «Rest of the World», Netflix aurait «délibérément visé de petits marchés de crainte de subir une importante perte d’abonnés face à ces nouvelles mesures». On devrait bientôt savoir s’ils estiment que ce serrement de vis peut leur faire gagner de l’argent ou en perdre.
Se diversifier à tout prix
Mais, aujourd’hui, le groupe de Los Gatos va surtout devoir faire évoluer son modèle d’affaire s’il veut sortir de l’ornière. C’est d’ailleurs dans cette optique que la plateforme a commencé à s’orienter vers les jeux vidéo, il y a quelques mois, en proposant dans leur abonnement de base de petits jeux mobiles. Mais dernièrement, Netflix a sollicité certains de ses abonnés en les interrogeant sur leurs habitudes en matière de consoles de salon, de parties en coopération avec des amis, ou de la présence d’éventuelles publicités «in game». On ne serait donc pas étonné que la firme cherche à s’implémenter plus sérieusement dans ce créneau avec des jeux plus ambitieux, cette fois accessibles sur PS5, Xbox ou directement sur certains téléviseurs.
«Netflix doit se diversifier, c’est une évidence, continue Anthony Jerjen. Reste à savoir dans quel domaine. Les jeux vidéo? Il y a tellement de gros acteurs dans le milieu que je ne vois pas comment ils pourraient s’imposer face à eux. Je les vois plutôt, à terme, vendre une partie de leur catalogue, et peut-être se spécialiser dans un créneau bien précis, comme la plateforme Mubi qui fait du streaming de films d’auteur.»
Alors Netflix est-il vraiment condamné à mourir à petit feu? On n’en est de toute façon pas encore là. Pour l’heure, la société a encore annoncé vouloir dépenser 20 milliards de dollars cette année en termes de contenu pour poursuivre sa folle course en avant: tenter de séduire de nouveaux abonnés tout en gardant bien au chaud les actuels. Une mission qui tient de plus en plus de l’impossible.