Secte prônant le jeûne au Kenya: «C’est un tueur, ni plus ni moins»

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KenyaSecte prônant le jeûne: «C’est un tueur, ni plus ni moins»

Les proches des victimes du «massacre de la forêt de Shakahola» sont dans l’incompréhension, après le décès de quelque nonante personnes, au Kenya. 

Des enquêteurs retournent la terre rouge de Shakahola, découvrant des fosses communes peu profondes où se trouvent de nombreux corps d’enfants.

Des enquêteurs retournent la terre rouge de Shakahola, découvrant des fosses communes peu profondes où se trouvent de nombreux corps d’enfants.

AFP

«Je n’ai aucun espoir de retrouver ma sœur et ses six enfants vivants». Blottie sous un abri de fortune la protégeant d’une pluie battante, Bethy K. patiente devant la morgue de Malindi dans l’est du Kenya.  C’est là que sont entreposés les corps des victimes du «massacre de la forêt de Shakahola», dans lequel au moins 90 membres de l’Eglise Internationale de Bonne Nouvelle (Good News International Church) sont morts, après avoir suivi les préceptes du «pasteur» Paul Mackenzie Nthengeconsistant à jeûner pour rencontrer Jésus.

La grande sœur de Bethy, Mary, en faisait partie. La dernière fois que Bethy l’a vue, c’était en juin 2022. «Elle m’a dit qu’elle allait rencontrer Jésus et que nous nous reverrions au paradis», raconte à l’AFP cette femme de 37 ans, les yeux rougis.

De nombreux enfants

Depuis plusieurs jours, des enquêteurs retournent la terre rouge de Shakahola, découvrant des fosses communes peu profondes où se trouvent notamment de nombreux corps d’enfants.  Au moins 36 fidèles ont été retrouvés vivants, errant dans le «bush», certains refusant l’eau et l’aide offerts par les services de secours.

Bethy n’a aucune illusion. Sa sœur et ses enfants – quatre filles et deux garçons âgés de 5 à 22 ans – ont rejoint en 2020 le groupe de Paul Mackenzie Nthenge, ancien chauffeur de taxi devenu «pasteur». Elle montre des photos de sa sœur aux membres de la Croix-Rouge qui assiste les autorités pour l’identification des victimes.  Sur un cliché pris avant 2020, Mary, souriante, mange avec appétit. Sur un autre, pris l’an dernier, elle apparaît vêtue d’un long voile blanc, le corps émacié.

«C’est un tueur, ni plus ni moins»

Comme Bethy Kahindi, de nombreuses familles de disparus attendent depuis plusieurs jours à l’extérieur de la morgue, convaincues d’y trouver les corps de leurs proches. Habel F. patiente depuis dimanche.  Il montre des photos de sa sœur qu’il n’a plus vue depuis 2020 quand elle a rejoint la forêt de Shakahola avec ses trois enfants, âgés entre 7 et 14 ans.

«Elle a commencé à fréquenter l’église en 2013. Elle a rapidement suivi les préceptes, refusant de mettre les enfants à l’école, comme le demandait Paul Mackenzie», détaille cet homme de 56 ans, serrant dans ses mains les photos de sa sœur et de ses neveux. «Je ne pense pas qu’elle soit encore en vie», lâche-t-il, le regard dans le vide : «Je suis allé voir les exhumations, on m’a dit de venir ici pour identifier les corps. Je ne partirai pas avant de les voir».

À l’évocation de Paul Mackenzie Nthenge, son débit de parole s’accélère. «C’est un tueur, ni plus ni moins. Quelle religion peut pousser des gens à jeûner jusqu’à la mort?» lance-t-il, espérant qu’il sera «sévèrement puni par la justice».

«Cet homme est un monstre»

«Cet homme est un monstre, il a tué ma sœur et ses enfants», lâche Bethy K. «Je suis tiraillée entre la tristesse et la colère. Ces personnes ont subi un lavage de cerveau, mais Paul Mackenzie aurait dû être mis hors d’état de nuire quand il prêchait de ne pas envoyer les enfants à l’école», poursuit-elle.

Il avait été arrêté en 2017, accusé de radicalisation, parce qu’il prônait de ne pas scolariser les enfants, affirmant que l’éducation n’est pas reconnue dans la Bible. Il avait ensuite été libéré. En détention à nouveau depuis le 14 avril, il doit comparaître mardi devant un tribunal.

Issa A., 16 ans, affirme avoir été battu à plusieurs reprises par le «pasteur», parce qu’il voulait quitter la forêt de Shakahola où sa mère, une travailleuse informelle de 54 ans, l’avait emmené en 2020. «Mackenzie disait que c’était l’endroit où Jésus devait apparaître avant la fin du monde», raconte le jeune homme.

Son père l’a finalement arraché à la secte l’an dernier. Il a vu sa mère pour la dernière fois en février. «Elle est venue nous voir et nous a dit au revoir comme si c’était la dernière fois que nous allions nous voir. Elle était déjà très maigre à ce moment-là», relate-t-il. «On a essayé de la retenir, mais elle a voulu y retourner. Je pense qu’elle est morte maintenant».

(AFP)

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