En 2021, le «Style sapin» est toujours vivant

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PatrimoineEn 2021, le «Style sapin» est toujours vivant

La vente de la première maison du Corbusier remet une décoration au goût du jour, mais une artiste contemporaine lui fait écho, à La Neuveville (BE).

Vincent Donzé
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Vincent Donzé

Qui se portera acquéreur de la «Villa Fallet», une maison construite en 1905-1906 dans le «Style sapin» par des étudiants guidés à La Chaux-de-Fonds chapeauté par l’architecte René Chapallaz? Dans l’équipe, se trouvait un apprenti graveur qui n’était pas encore devenu un architecte mondialement célèbre: Charles-Edouard Jeanneret, alias Le Corbusier (1887-1965). Mise en vente au prix plancher de 1,4 million de francs, cette villa d’exception intéresse les autorités, désireuses de la rendre publique.

Dans une résolution signée par plusieurs partis, le popiste Julien Gressot regrette que «la majorité des maisons liées au Corbusier ne soient pas accessibles publiquement ou alors très difficilement». Ce parlementaire a exprimé «la tristesse que procurent les portes fermées» de la «Villa Turque», propriété de la marque horlogère «Ebel», tandis que la «Maison Blanche» est exploitée en portes ouvertes par une association qui porte son nom.

Préemption

À ce jour, la «Maison Blanche» est la seule des cinq villas chaux-de-fonnières du Corbusier qui soit accessible. La «Villa Fallet» sera-t-elle la deuxième? La Ville fera-t-elle valoir son droit de préemption? Ou le canton? Tout dépendra de l’acquéreur qui se profilera: celui ou celle qui voudra signer un contrat avec la fratrie propriétaire de la «Villa Fallet» voudra peut-être y organiser des événements littéraires ou autres, qui sait…

Laisser entrer un public dans un lieu où tout respire le sapin: la boiserie et le vitrage, jusqu’à la ferronnerie? La copropriétaire Marie-Laurence Sanroma (57 ans) n’est pas insensible à la perspective de donner de la visibilité au «Style sapin» qui lui est cher.

Travail d’équipe

«La «Villa Fallet» est à mes yeux la maison d’un style davantage que celle d’un homme, aussi célèbre soit-il», insiste Marie-Laurence Sanroma. «C’était un travail d’équipe», dit-elle. Une équipe inscrite au Cours supérieur d’art et de décoration qui portait les noms de Charles-Edouard Jeanneret, Léon Perrin, André Evrard, Georges Aubert…

«À l’instar des compagnons français, chaque intervenant a excellé dans son corps de métier. Aucun n’a plus de mérite qu’un autre», poursuit Marie-Laurence Sanroma. Son regret: «Le «Style sapin» est une école qu’on n’a pas su garder», soupire cette résidente de Val-de-Ruz.

Courant régional de l’«Art nouveau», le «Style sapin» n’est pourtant pas tombé dans l’oubli. Une artiste issue de l’École d’arts appliqués de La Chaux-de-Fonds s’en est inspirée inconsciemment pour réaliser en cinq ans dix tableaux exposés actuellement à La Neuveville (BE): «Je ne suis pas influençable, mais je vis dans la nature, du côté de la Vue-des-Aples», indique Dominique «Dom» Ritz (45 ans), sensible à l’«Art nouveau» du fer de lance tchèque Alphons Mucha.

La graphiste native de Cormoret (BE) a d’abord travaillé dans l’horlogerie avant de s’adonner à la peinture. Le style de Dom Ritz a paraît-il «le chic d’un rétro aux associations de couleurs très contemporaines». C’est un observateur avisé qui a collé sur ses scarabées l’étiquette «Style sapin».

À La Neuveville (BE), l’artiste Dom Rytz expose à la galerie «Comquecom» jusqu’au 28 septembre.

À La Neuveville (BE), l’artiste Dom Rytz expose à la galerie «Comquecom» jusqu’au 28 septembre.

Lematin.ch/Vincent Donzé

Dès 1905, le «Style sapin» s’appliquait au vocabulaire décoratif chaux-de-fonnier élaboré par les élèves de l’École d’art, sous l’influence de Charles L’Eplattenier (1874-1946), sensible aux préceptes de l’«Art nouveau». Son cours supérieur d’art et de décoration se voulait une initiation à l’étude de la nature. Sapins, chardons, gentianes: ces éléments décoratifs ont été peints sur les façades et les cages d’escalier, sculptés dans les portes et les poutres, forgés dans les portails et les balustrades.

Dans le rapport de la Commission de l’école d’art de 1911-1912, l’idée que «seule la nature est inspiratrice» est un concept conduit Charles L’Eplattenier et ses élèves à l’étude de la flore et de la faune régionales. Il était question de «chercher le mouvement dans le rythme poétique de l’horizon jurassien parsemé de sapins et de gentianes».

Différents âges

À ses différents âges, le sapin est resté à base des études ornementales. Lorsqu’il est étudié dans son ensemble ou dans ses détails, cet arbre offre «des ressources décoratives inépuisables». Les élèves ont réalisé avec leur professeur de nombreuses décorations issues de commandes publiques ou privées, appliquées à 800 objets, parmi lesquels des montres.

Rétrospectivement, Le Corbusier évoquera la construction, à 18 ans, d’une maison réalisée «avec beaucoup de soins» et «probablement affreuse, mais indemne de routine architecturale», selon une citation reprise par l’historien d’art Stanislaus von Moss. Un spécialiste qui évoque un «petit chalet» résultant d’«un étrange assemblage d’idées» et exécuté avec «tout le soin que l’on pourrait attendre d’un professionnel de l’art de la construction».

Le crématoire (1909-1910) de La Chaux-de-Fonds passe pour le chef-d’œuvre de cette période. L’enseignement de Charles L’Eplattenier lui a valu un diplôme d’honneur à l’Exposition internationale de Milan, en 1906.

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