Jura bernois - «L’ognon fait-il la farce?», s’interroge un député

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Jura bernois«L’ognon fait-il la farce?», s’interroge un député

La réforme de l’orthographe effraie le parlementaire bernois Mohamed Hamdaoui: «Quand «ail» s’écrira «aïe», ça me fera très mal!», dit-il.

Vincent Donzé
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Vincent Donzé
«L’ognon fait-il la farce?» s’est interrogé le journaliste et député bernois Mohamed Hamdaoui, au Café Brésil.

«L’ognon fait-il la farce?» s’est interrogé le journaliste et député bernois Mohamed Hamdaoui, au Café Brésil.

lematin.ch/Vincent Donzé

«L’ognon fait-il la farce?», s’est interrogé le journaliste et député bernois Mohamed Hamdaoui, le 16 septembre dernier. Objet de son courroux: la réforme de l’orthographe de la langue française recommandée par la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). «Quand «ail» s’écrira «aïe», ça me fera très mal!», dit-il.

La réforme de l’orthographe a entraîné une levée de boucliers matérialisée par une pétition, au point que le Grand Conseil genevois a réclamé sa suspension. D’où la question de Mohamed Hamdaoui: «En quoi est-ce un progrès de permettre aux élèves d’écrire «ognon» au lieu d’«oignon» et de vouloir supprimer les accents circonflexes ou les traits d’union de nombreux noms communs?»

Ancien observateur de la politique fédérale, Mohamed Hamdaoui craint «un nivellement par le bas des connaissances de la langue française» dans les écoles publiques. «Chaque mot a sa propre étymologie. Pourquoi vouloir priver les élèves d’une telle richesse en «simplifiant» certains mots de manière parfois incompréhensible et inexplicable?», a-t-il demandé.

«Je ne changerai pas mon écriture pour faire plaisir à des bobos», a déclaré le journaliste au «Quotidien Jurassien»

«Je ne changerai pas mon écriture pour faire plaisir à des bobos», a déclaré le journaliste au «Quotidien Jurassien»

lematin.ch/Vincent Donzé

«L’orthographe rectifiée deviendra celle qui sera enseignée dès l’introduction des nouveaux moyens d’enseignement du français en 2023», a répondu le Conseil-exécutif. L’orthographe «traditionnelle» n’est pas abandonnée face à l’écriture «inclusive»: «Elle restera acceptée et les élèves pourront continuer à l’appliquer», assure le Conseil-exécutif.

La nouvelle orthographe se caractérise par une diminution des exceptions et des cas particuliers qui, souvent, n’ont pas de réelle justification: «L’orthographe rectifiée vise davantage de cohérence et moins d’exceptions, avec, au final, plus de place pour le raisonnement et moins pour la mémorisation», assène le Conseil-exécutif bernois.

Paraît-il

Les élèves trouveront leur compte, paraît-il, dans des règles plus compréhensibles et plus logiques, donc plus accessibles: «Il ne s’agit pas de leur laisser plus de liberté par rapport à une orthographe qu’ils sont censés maîtriser, mais de leur faire apprendre des règles rendues plus cohérentes», estime le gouvernement bernois. Façon de dire que les exceptions favorisent la mémorisation en détriment de la réflexion.

Le progrès résiderait dans le renforcement de quelques règles permettant de diminuer le nombre d’exceptions: l’impact des rectifications orthographiques de 1990 sur les textes serait minime, car elles concerneraient que 3,8 mots sur 1000. «La modification la plus fréquente est celle qui concerne l’accent circonflexe, uniquement pour les lettres «i» et «u».», indique le gouvernement bernois.

Moins exigeante

«L’orthographe rectifiée n’est pas moins exigeante que l’ancienne orthographe», estime le gouvernement bernois. Elle éliminerait les incohérences et ne toucherait que le lexique. La modification la plus fréquente est celle qui concerne l’accent circonflexe, uniquement pour les lettres «i» et «u».

«L’orthographe française reste encore très complexe», affirme le gouvernement bernois. «Renforcer les régularités comme le propose l’orthographe rectifiée ne peut qu’aider à une meilleure maîtrise du français, qui permet à son tour d’en découvrir la beauté et la richesse», indique-t-il.

Quatorze principes

L’orthographe rectifiée comporte quatorze principes, dont trois sont des recommandations. Elle ne remet pas en cause l’orthographe en tant que telle et n’affecte pas les connaissances que les élèves acquerront sur la langue.

Les élèves ne lisent déjà plus les textes classiques dans leur version d’origine et, quand ils ont l’occasion de le faire, ils découvrent que la langue française a évolué au fil des siècles. «Ces évolutions permettent de rendre accessibles des œuvres fondamentales de la culture francophone et de la rendre moins élitiste», estime le gouvernement bernois.

«La langue évolue sans cesse», insiste le gouvernement bernois, conscient des profondes réformes ont eu lieu entre 1650 et 1835. «Je ne changerai pas mon écriture pour faire plaisir à des bobos», a asséné Mohamed Hamdaoui dans «Le Quotidien Jurassien».

L’avis du gouvernement bernois:

«Il n’aurait pas été possible de proposer des principes visant à rendre l’orthographe plus cohérente, sans comprendre l’origine et l’évolution de différentes règles. Il importe donc de conserver les traits qui donnent à l’orthographe du français son identité, mais cela n’implique pas de conserver tous les traits, et en particulier ceux qui manquent de logique et nuisent à l’apprentissage, car les références étymologiques sont parfois erronées».

«Il en va ainsi du nénufar, dont l’origine prétendument grecque aurait imposé de l’écrire avec un «ph», alors que le mot est d’origine arabe et devrait donc s’écrire avec un «f», à l’instar d’autres mots issus de l’arabe. De nombreuses étymologies peuvent ainsi être prises en défaut. Pour prendre l’exemple des circonflexes, l’étude de ces derniers ne permet pas de dégager des règles: pourquoi écrit-on déjeuner et coutume, mais jeûner et coût?».

«La décision de la «Conférence intercantonale de l’instruction publique (CIIP) intervient après un examen approfondi de la situation dans d’autres pays francophones comme la France, la Belgique ou le Québec, où l’orthographe rectifiée a été validée officiellement, sur la base des recommandations du Conseil international de la langue française».

«Comme une nouvelle collection de manuels pour enseigner le français est en cours de rédaction, la CIIP se devait de décider des statuts respectifs à accorder à l’orthographe traditionnelle et à l’orthographe rectifiée. Pour les raisons précitées, elle a opté pour faire désormais de la seconde la norme d’enseignement. Les rectifications, rappelons-le, ont été formulées par un comité mandaté par le premier ministre français en intégrant des représentants de différents milieux et pays francophones. Puis elles ont été avalisées par l’Académie française sous forme de recommandations».

«La CIIP ne dispose pas encore de données empiriques, pour ce qui concerne la Suisse romande, qui montreraient à quel point l’orthographe rectifiée facilite l’apprentissage pour tous les élèves et a fortiori pour les élèves allophones. Cependant, en comparant l’ancienne et la nouvelle règle concernant l’usage des traits d’union dans les nombres, il apparaît que l’orthographe rectifiée peut faciliter l’apprentissage. Relevons au passage que cet exemple illustre aussi les économies possibles: au lieu de passer du temps à savoir comment placer le trait d’union dans les nombres, on peut réfléchir de façon approfondie à d’autres aspects de la langue et plus encore à la manière de s’exprimer de manière intelligible et cohérente».

«Par leur portée, les rectifications de l’orthographe ne constituent pas une réforme. Le corps enseignant, par l’intermédiaire du Syndicat romand des enseignants, s’est déclaré favorable à l’introduction de l’orthographe rectifiée comme norme d’enseignement. Pour introduire les rectifications, la CIIP mise sur la formation initiale et la formation continue. La CIIP prévoit aussi d’assurer une information à grande échelle, notamment auprès des milieux de la formation qui prennent le relais après la scolarité obligatoire».

«Comme évoqué dans l’introduction, l’orthographe «traditionnelle» n’est pas pour autant abandonnée. Elle restera acceptée et les élèves pourront continuer à l’appliquer sans être sanctionnés. Les moyens d’enseignement romands sont des moyens obligatoires. Les enseignantes et les enseignants sont donc tenus de les utiliser pour garantir la continuité des apprentissages entre les cycles. En cas de non-observation de cette obligation, il sera du ressort des autorités compétentes de prendre les mesures utiles».

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