Guerre en Ukraine«Le 24 février, l’Europe a changé, la Suisse a changé»
Débat urgent à Berne. L’onde de choc de l’invasion russe a bouleversé le travail du Parlement. Neutralité, défense, OTAN, aide humanitaire, réfugiés, énergie, le spectre des conséquences est large.


Le chef du groupe PLR Damien Cottier a plaidé pour une Suisse «engagée, solidaire et responsable»
DR«Le 24 février, le monde a changé, l’Europe a changé, la Suisse a changé». Damien Cottier (PLR/NE), chef du groupe PLR au Parlement, a illustré en une phrase le basculement de l’histoire associé dorénavant à cette date. Pour sa collègue Corina Gredig (VL/ZH): «Comme pour le 11 septembre 2001, tout le monde se souviendra ce qu’il faisait ce jour-là». Et pour Nicolas Walder: «Le 24 février, les rires et l’insouciance des enfants ont été remplacés par les cris et la souffrance».
Trois semaines plus tard, le Conseil national tient un débat urgent fleuve sur ce monde qui a changé. «La guerre s’aggrave et aucun cessez-le-feu est en vue», a précisé ce mercredi sans l’ombre d’un espoir le président Ignazio Cassis devant les parlementaires. «La situation humanitaire est catastrophique», a-t-il ajouté. Il s’agit pour lui de «la plus grande crise de la sécurité en Europe depuis la fin de la 2e guerre mondiale».
Neutralité
Ce débat très nourri a illustré à quel point l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine a de fortes répercussions sur la vie politique suisse. Hormis à l’UDC, tous les groupes ont salué la décision du Conseil fédéral de rejoindre les sanctions européennes: «La neutralité doit faire l’objet en tout temps d’une évaluation politique», a plaidé Roland Fischer (VL/LU). Ignazio Cassis a toutefois ajouté que «la Suisse a dû revoir fondamentalement ses relations avec la Russie». Sur ce point l’UDC estime que la Suisse s’est trop engagée. Pour son chef, Thomas Aeschi (UDC/ZG): «Prendre des sanctions contre une puissance nucléaire, c’est jouer avec le feu».
Quatre membres du Conseil fédéral
Claudia Friedl (PS/SG) a fait la liste des chantiers politiques, que la guerre a ouverts: le gel des avoirs russes, la dépendance au gaz et la hausse des prix, l’aide humanitaire en Ukraine et dans les pays voisins, la solidarité et l’accueil des réfugiés en Suisse, la menace nucléaire et le renforcement de l’armée, la protection de la population et la place de la Suisse sur la scène internationale pour faire cesser cette guerre. L’abondance de la matière a nécessité la présence de quatre membres du Conseil fédéral: Ignazio Cassis pour les questions diplomatiques, Viola Amherd pour l’armée, Karin Keller-Sutter pour les réfugiés et Simonetta Sommaruga pour les questions énergétiques.
Renforcer la défense
Ignazio Cassis a parlé d’une «guerre violente, dont les répercussions sur la sécurité du continent sont graves et durables». Le chantier qui divise le plus est sans doute le réarmement de la Suisse demandée par la droite au lendemain du 24 février. «Nous avons baissé la garde», a déploré Damien Cottier. Pour Thomas Aeschi, il est impératif d’augmenter le budget de l’armée de 2 milliards (1% du PIB). Son groupe veut également empêcher la vente de la fabrique de munitions Ruag Ammotec. Les élus de l’UDC, du PLR et du Centre ont enfin rappelé la nécessité de l’achat des F-35.
«Passager clandestin» de l’OTAN
Mais Pierre-Alain Fridez (PS/JU) estime que, paradoxalement, la sécurité de la Suisse sort renforcée depuis le 24 février, car l’attaque russe a réveillé l’idée d’une défense européenne et a secoué l’OTAN. «Pour arriver chez nous, les Russes doivent battre l’OTAN», a-t-il dit, sous-entendant qu’ils n’auraient pas de peine à nous battre ensuite… À l’instar de François Pointet (VL/VD), il a relevé que la Suisse se comportait comme un «passager clandestin» sous le parapluie de l’OTAN. Quant aux avions de combat, il a observé que les Ukrainiens ont vu leurs aérodromes et avions rapidement inopérants: «Avec nos trois aérodromes en Suisse, nous sommes donc bien vulnérables».
Viola Amherd a expliqué que le Conseil fédéral devait dorénavant examiner les propositions qui lui sont faites pour booster l’armée, notamment l’augmentation des 2 milliards de francs. Constatant que les pays européens augmentaient leur part du PIB consacré à la défense aux alentours de 2%, elle a rappelé: «En 1999, la Suisse y consacrait 1,4% du PIB, aujourd’hui 0,7%, cela signifie que notre niveau est bas». Autrement dit, c’est déjà un argument en soi pour faire monter les investissements militaires.
Une solidarité sur la durée
La plupart des intervenants se sont félicités de l’élan de solidarité du peuple suisse et de la mise en place d’un permis S. Pour Ada Mara (PS/VD): «Enfin la Suisse assume en matière d’asile», tout en regrettant que les Afghans ou les Syriens «sous les mêmes bombes russes», n’ont pas eu droit au même traitement. Certains ont regretté aussi les problèmes rencontrés dans les centres d’accueil et les queues qui se sont formées ces derniers jours.
Karin Keller-Sutter a précisé que tout le monde essayait de faire au mieux dans une situation tout à fait exceptionnelle: «Hier, il y a eu 1387 enregistrements en une journée, alors que c’est normalement le nombre de tout un mois». Elle a remercié celles et ceux qui à leur niveau s’engagent à améliorer les processus. Elle a souhaité aussi que la solidarité qui s’exprime en ce moment sous le coup de l’émotion soit appelée à durer.
Face au grand défi que représente la gestion des réfugiés sur la durée, le Conseiller Marco Romano (C/TI) estime qu’il faut canaliser toutes les énergies solidaires, hébergement, alimentation, enseignement scolaire ou travail des adultes: «Il faut construire ensemble un programme d’accueil».