NeuchâtelDavid de Pury recadré par des artistes
La statue du négociant (1709-1786) mêlé à la traite négrière sera mise en perspective par des œuvres contemporaines.
À Neuchâtel, la statue de David de Pury (1709-1786) sera flanquée d’une œuvre artistique, puis d’une autre. À la suite d’une controverse qui a vu ce monument maculé de peinture rouge en raison du rôle supposé de ce négociant dans la traite négrière, la Ville a fait appel à des artistes pour mettre en scène et en perspective le passé de ce bienfaiteur généreux pour la cité.
Quatre projets ont été sélectionnés parmi 33 dossiers reçus: «Ignis Fatuus» de Nathan Solioz, «A scratch on the nose» de Mathias Pfund, «Chimère» de Lionel Ferchaud et Manuel Borruat et «Pury tour de Suisse» d’Olivier Suter. Le Conseil communal a confirmé ce choix, mais seuls les deux premières œuvres seront présentées au public à l’horizon 2022-2023, les deux autres étant plus complexes à réaliser.
Le concours artistique a été lancé par la Ville «pour confronter le monument de Pury avec des regards d’artistes d’aujourd’hui». «Le nombre et la qualité des dossiers reçus montrent que le sujet est au cœur des préoccupations actuelles, et sont source d’inspiration des meilleurs talents», a souligné Thomas Facchinetti, président de la Ville de Neuchâtel, cité par «ArcInfo».
«Ignis Fatuus: projection feux follets, bassin d’âmes d’esclave» de l’artiste neuchâtelois Nathan Solioz sera visible dès l’hiver 2022-2023. Il s’agit d’une installation lumineuse et sonore qui sera déployée autour de la statue de Pury. De nuit, elle mettra en scène les âmes des esclaves jetés à la mer pendant leur voyage à travers l’océan. Le titre de l’œuvre, qui signifie «feu follet», renvoie aux esprits revenus hanter le négociant mais aussi notre société contemporaine.
Ville de NeuchâtelSi Neuchâtel fait la lumière sur son passé, c’est suite à la mort il y a deux ans de l’Afro-américain George Floyd à Minneapolis, aux États-Unis. Les autorités neuchâteloises relèvent que cet événement a entraîné une vague de protestations dans le monde entier, faisant vaciller nombre de monuments historiques liés à l’entreprise coloniale et à l’esclavagisme.
À Neuchâtel, une pétition demande le retrait de la statue de David de Pury. Une autre, déposée peu après, demande son maintien assorti d’une plaque explicative. Le Conseil général (Législatif) a accepté un paquet de mesures visant à «développer les connaissances du lien entre Neuchâtel et l’entreprise coloniale» et à mieux les faire connaître.
Le jury international était présidé par Pap Ndiaye, historien et directeur du Palais de la Porte dorée à Paris. Les quatre projets retenus seront présentés lors d’une exposition au péristyle de l’Hôtel de Ville, dans le cadre de la Semaine contre le racisme (du lundi au jeudi de 9 h à 12 h et de 14 h à 17 h). Le vernissage de «La Suisse, Neuchâtel et la lutte contre le racisme» aura lieu le 21 mars à 17 h 30.
Ville de NeuchâtelCette année, une plaque explicative sera installée devant la statue de David de Pury. Une traduction est prévue en neuf autres langues. En voici la teneur:
«Cette statue a été érigée en 1855, à la suite d’une souscription lancée par des notables, en l’honneur de David de Pury, qui avait légué la majeure partie de sa fortune à sa ville natale. Cet héritage permit à Neuchâtel de connaître un essor urbain sans précédent, mais l’origine de cet argent fait débat. Négociant et financier international basé à Lisbonne, David de Pury était actif dans le commerce de diamants et de bois précieux du Brésil, exploités par le travail de femmes, d’hommes et d’enfants réduits à l’esclavage. En outre, il possédait des actions d’une société active dans la traite négrière. Désireuse de faire la lumière sur cette période de son histoire, la Ville de Neuchâtel soutient la diffusion de la recherche historique et le travail de réflexion mémorielle dans l’espace public. La Ville de Neuchâtel tient à rendre hommage à toutes les personnes privées de liberté, exploitées et déshumanisées dans le cadre du commerce triangulaire et de la colonisation ainsi qu’aux personnes victimes aujourd’hui encore de racisme. Elle affirme l’égale dignité humaine, la valeur essentielle d‘une société sans discrimination, plurielle et inclusive».