Italie: «Le mafieux veut mourir dans son lit, pas en cellule»

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Italie«Le mafieux veut mourir dans son lit, pas en cellule»

Certains mafieux italiens prennent la tangente sous les tropiques, mais la plupart restent au pays pour continuer à régner dans l’ombre. Quitte à vivre reclus entre les murs de la «prison» qu’ils ont choisie.

Les «escadrons de chasseurs», des unités spécialisées des carabiniers, traquent sans relâche les gros bonnets du crime organisé passés à la clandestinité en Sicile, dans le maquis sarde ou les montagnes de Calabre. C’est là, au cœur des villes ou des villages où ils sont nés, où ils ont manié leurs premières armes, où ils ont versé leur premier sang, qu’ils demeurent, à la merci d’une trahison mais sous la protection de leurs affidés. «Aller en prison, pour un mafieux, c’est un échec. Le mafieux veut mourir dans son lit, pas en cellule», explique le journaliste spécialisé Attilio Bolzoni.

Comme avant lui les parrains de la mafia sicilienne, la Cosa Nostra, Toto Riina et Bernardo Provenzano, Matteo Messina Denaro, arrêté lundi, après 30 ans de cavale, se terrait sur son île, à un jet de pierre de sa ville natale de Castelvetrano.

Le dernier grand «capo» sicilien vivant occupait un appartement confortable et, selon les habitants de Campobello di Mazara, sortait au grand jour pour prendre un café au bar local, commander une pizza, faire ses emplettes… Il était muni de faux papiers et se faisait passer pour un médecin. D’autres portent des perruques, s’habillent en femme, subissent des opérations esthétiques.

Cosa Nostra n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même, décapitée par l’Etat après les assassinats des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, pour lesquels Matteo Messina Denaro a été condamné à la perpétuité. Mais pour ce qui en subsiste, un parrain comme lui ne peut pas commander à distance, sauf à prendre le risque de voir son pouvoir contesté. Il doit rester parmi ses hommes, à n’importe quel prix.

Dans des caves aménagées

En Italie, les mafieux en cavale se cachent souvent dans ce qu’on appelle des «bunkers»: il s’agit de caves aménagées, avec chambre, sanitaire et cuisine, en sous-sol de maisons individuelles ou de petits immeubles. On y accède par des trappes dissimulées sous des meubles, des tapis, des faux planchers, derrière un miroir.

Leurs hôtes sont des amis, des affidés, ou des membres de la famille qui les ravitaillent régulièrement, avec qui ils jouent aux cartes ou fêtent Noël, au nez et à la barbe des autorités.

Préservatifs et Viagra

Selon le journal «Il Corriere della sera», les enquêteurs ont retrouvé des préservatifs et des boîtes de Viagra dans la planque de Matteo Messina Denaro. D’autres n’ont pas ce privilège, condamnés à se réfugier au plus profond des campagnes boisées de l’Italie méridionale.

«Un homme parmi les plus recherchés au monde a besoin de protections et d’argent.»

Anna Sergi, criminologue

En 2016, deux chefs de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, avaient été débusqués dans un misérable «bunker» niché dans la montagne, au milieu des arbres, où ils «vivaient comme des animaux», selon l’expression du procureur de l’époque, se nourrissant de conserves, dans des conditions d’hygiène précaires. Toto Riina, lui, le boss de Corleone surnommé «le Fauve», pour sa férocité, vivait au centre de Palerme jusqu’à son arrestation, en 1993, dans une «villa-bunker». Elle abrite aujourd’hui… une caserne de carabiniers.

«Un homme parmi les plus recherchés au monde a besoin de protections et d’argent», analyse Anna Sergi, criminologue, à propos de Matteo Messina Denaro, dont le patrimoine – par définition inconnu – se comptait en centaines de millions d’euros, selon la presse italienne.

«Ils ont des relations partout»

En plus de leur famille et de leurs sicaires, les mafieux ont longtemps bénéficié d’appuis au plus haut niveau de l’Etat et des partis politiques, de complicités parmi les forces de l’ordre, la magistrature, les entreprises ou l’Eglise. C’est toujours le cas, au moins au niveau local. «Ils ont des relations partout. On les informe d’opérations de police, mais surtout, ils gravitent sur un territoire où on les aide à se cacher», indique l’écrivain Roberto Saviano. «Ils peuvent compter sur un réseau de personnes qui prennent le risque de les protéger, soit parce qu’elles sont généreusement payées, soit parce qu’elles subissent une forme de chantage», détaille la criminologue Anna Sergi.

(AFP)

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