Wimbledon 2023Sur la Henman Hill, «on n’a pas de billets mais on est joyeux»
En face du Court No 1, une verte colline rassemble ceux qui n’ont pas trouvé de sésame pour les courts principaux de Wimbledon. Plongée dans l’univers parallèle de «The Hill».


La colline de Wimbledon en communion intense: sur le Centre Court, Andy Murray, favori de la foule, joue.
Getty ImagesC’est le lieu où se retrouvent les laissés-pour-compte: ils n’ont pas obtenu de billets pour le Centre Court, mais pour rien au monde ils se laisseraient gâcher la fête. La «Henman Hill» se dresse à l’arrière du Court No 1, en surplomb de l’enceinte. Une colline de gazon - évidemment - qui s’étend en terrasses jusqu’à un double écran géant.
Orientée plein sud, elle offre le seul espace vert en dehors des terrains. Et en ce vendredi après-midi de la première semaine, elle affiche complet: le soleil, le week-end, mais surtout un alléchant duel entre Andy Murray et Stefanos Tsitsipas expliquent la forte affluence. Et puis il y a ce nom, en référence à Tim Henman, jadis meilleur espoir britannique pour enfin trouver un successeur à Fred Perry, et incarnation d’un tennis suranné: le service-volée. C’est tout l’esprit d’un lieu hors du temps que traduit cette appellation désormais caduque: Andy Murray a vaincu la malédiction, le peuple britannique est libéré.
«Avec Andy Murray au programme, on sait qu’il y aura de l’ambiance.»
Peu importe, le succès du lieu ne décline pas. Dès l’ouverture des portes, les plus malins viennent prendre leur place. Étendre une nappe de pique-nique, un linge de plage ou une veste: tout est bon pour marquer son territoire. Très vite, l’herbe en pente douce se transforme en banquet à ciel ouvert. Les bouchons sautent, les verres s’entrechoquent, dans une symphonie polyphonique d’éclats de rire.
«Chaque année, nous nous dépêchons de venir prendre nos places pour être bien en face de l’écran, explique Mary, déjà affairée à l’engloutissement d’un sandwich au poulet. On adore cette atmosphère de «garden-party». Et puis avec Andy Murray au programme, on sait qu’il y aura de l’ambiance.»

En fin de matinée, les meilleures places sont déjà prises. Des messages rappellent qu’il faut s’hydrater, avec de l’eau de préférence.
DRPlus loin, une bicoque détonne. C’est une maison blanche, adossée à la colline. On y vient pour se ravitailler en Pimm’s, la boisson emblématique du tournoi. Ici, la file d’attente ne désemplit pas, dans le calme et la bonne humeur.
«Moi, je prends toujours un pitcher (ndlr: un gros pichet d’un litre et demi), comme ça je suis tranquille pendant au moins le prochain quart d’heure, se marre Kieran, solide gaillard bien décidé à siffler sur la colline. Si elle est gentille, je laisserai un verre à ma copine. Sur la Hill, on n’a pas de billets mais on est joyeux.» Dans tous les sens du terme: il n’est que 14 heures mais la bonne humeur se mesure déjà à l’éthylomètre.

Le stand dédié au Pimm’s, sur la colline. Un incontournable.
DREn slalomant entre les petits groupes assis en tailleur, on tombe sur Angie, qui accepte de nous ouvrir son panier à pique-nique. «C’est le panier officiel du tournoi, qu’il faut commander trois jours à l’avance et qui coûte 150 livres pour deux, détaille-t-elle. Il y a du crabe en pot, de la salade de poulet, une sélection de charcuteries et de fromages, des œufs durs, de la mousse au chocolat pour le dessert, les traditionnelles fraises et une bouteille de vin.» La formule n’est pas bon marché mais très prisée.
Les stewards préviennent les embouteillages
À 16h, l’assistance gronde: Andy Murray entre sur le terrain. Il mène deux sets à un face à Tsitsipas, dans son match interrompu la veille. À cet instant, il n’y a plus le moindre centimètre carré de disponible sur «The Hill». Un message avertit: «Si vous quittez la colline, vous risquez de devoir faire la queue pour y retourner.» Alors, pas question de céder du terrain, au contraire. Les premiers points gagnants de l’Écossais sont célébrés gorge déployée. Aux abords, les stewards veillent à ce qu’aucun embouteillage ne se forme: toute personne qui n’est pas sur le gazon doit rester en mouvement, question de sécurité.

Entre deux gorgées, un œil sur le match.
Getty ImagesTrès vite, le favori du public perd prise, lâche le quatrième set, puis se fait breaker dans le cinquième. La foule lance un clapping au son des «Andy», «Andy», «Andy». Rien n’y fait, Murray finit par s’incliner. C’est sous une standing ovation de la colline qu’il quitte le court; de là où il est, 200 mètres en contrebas à vol d’oiseau, l’Écossais ne l’entend guère. Pas grave, c’est elle-même que «The Hill» réconforte.
«Je fonce aux toilettes, ça fait trois heures que je me retiens.»
Très vite, les larmes sont séchées, les nappes repliées. «Je fonce aux toilettes, ça fait trois heures que je me retiens», lance un grand roux pour s’excuser de nous bousculer. Devant les waters, la queue s’allonge. Pareil aux stands de boissons. Sur la colline, la soirée ne fait que commencer: déjà, elle attend un prochain prétexte pour s’enflammer.