Football: Brillants en club, mais pas avec la Suisse: à qui la faute?

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FootballBrillants en club, mais pas avec la Suisse: à qui la faute?

La forme étincelante en club des leaders de la sélection ne rejaillit pas cet automne sous le maillot helvétique. Murat Yakin au cœur du problème? Le point avant la semaine prochaine et les trois matches décisifs pour l’Euro 2024.

Daniel Visentini
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Daniel Visentini
Murat Yakin peut faire la grimace: entre les performances de ses cadres avec la Suisse et dans leurs clubs, il y a un fossé. Parce qu'il n'arrive pas à tirer le meilleur de ses internationaux?

Murat Yakin peut faire la grimace: entre les performances de ses cadres avec la Suisse et dans leurs clubs, il y a un fossé. Parce qu'il n'arrive pas à tirer le meilleur de ses internationaux?

Fabrice COFFRINI / AFP

A une semaine d’un rassemblement décisif pour l’équipe de Suisse, en vue d’une qualification pour l’Euro 2024, le temps semble au beau fixe pour la plupart des leaders de la sélection helvétique. Aucune raison de s’inquiéter du déplacement en Hongrie pour y affronter Israël (le 15 novembre), du match de Bâle face au Kosovo (le 18) et du final de ces éliminatoires en Roumanie (le 21). Non, cette Suisse est largement supérieure à tous ces adversaires, d’ailleurs c’est exactement ce qui transpire des performances de ses stars dans leurs clubs respectifs.

Gonflée de ces certitudes individuelles, il devrait y avoir une équipe nationale pleine d’assurances collectives. On liste les sources de liesse comme autant de promesses: Granit Xhaka est l’incontestable maître à jouer d’un Leverkusen invaincu et leader de la Bundesliga; Yann Sommer est le portier titulaire et performant de l’Inter, leader du calcio; Manuel Akanji est l’un des patrons défensifs de Manchester City, en tête de la Premier League; Denis Zakaria est essentiel à Monaco (3e en Ligue 1) et même buteur ce week-end. On pourrait rajouter d’autres joueurs en vue dans leurs clubs, de Fabian Schär, patron de la défense à Newcastle à Ricardo Rodriguez, titulaire fringant à Torino. Ou même Zeki Amdouni qui se fait une place à Burnley.

Pas d'effets pour la Suisse

Bref, il y a actuellement une ribambelle de joueurs en confiance, brillants avec leurs clubs et dont les capacités actuelles devraient inéluctablement ruisseler en équipe de Suisse. Sauf que…

Sauf que ce n’est pas le cas! Le dernier match de la sélection, le mois passé, pour exemple. Une Suisse qui reçoit la Biélorussie, un adversaire d’une insigne faiblesse. À six minutes de la fin, les Biélorusses menaient 3-1 à Saint-Gall, l’équipe nationale évitant la défaite mais pas le ridicule dans les dernières secondes (3-3).

Xhaka? Rien à voir avec le patron de Leverkusen. Sommer? Moins sûr qu’à l’Inter. Akanji? Nonchalant, si loin de l’intensité qu’il affiche avec City. Zakaria? Même pas titulaire. Schär? Égaré, mal placé. Rodriguez? L’ombre de ce qu’il peut être. Amdouni? Sur le banc (comme Ndoye), un Steffen transparent a été préféré.

Le contraste est saisissant. À qui la faute? Les joueurs ont peut-être leur part dans ce problème. Après tout, ce sont eux qui sont sur le terrain. Il faudrait donc espérer qu’il n’y a eu là, contre la Biélorussie, qu’un dysfonctionnement individuel de la plupart des leaders. Fin des questionnements? Vision simpliste.

Un problème récurrent

Il y a sans doute de vraies questions à se poser autour de Murat Yakin. Voilà un sélectionneur qui n’arrive pas à tirer le meilleur de ses joueurs dominants alors que ceux-ci brillent en club. Et ce n’est pas la première fois: le nul contre la Roumanie à Lucerne le rappelle, le nul au Kosovo aussi et même les deux victoires misérables contre Andorre. Le problème est récurrent, ponctué par la tragicomédie face à la Biélorussie.

Dans la forme, sur le terrain, les soucis sautent aux yeux. Dans le fond, il y a un gros problème: la défiance des cadres envers leur sélectionneur. Pour ses méthodes (entraînements), pour ses choix (joueurs, systèmes), pour son déficit de projection (les jeunes). Plusieurs sonnettes d’alarme ont été tirées, principalement par Granit Xhaka, le capitaine, qui parlait toujours au nom des leaders du groupe, pas sous le coup de l’émotion et pas pour sa propre personne, ce qu’on a voulu faire croire du côté des dirigeants du foot suisse. Que Yakin y reste sourd est une chose. Que l’ASF l’imite en est une autre.

Quelles perspectives avec Yakin?

La question, c’est: où va l’équipe de Suisse avec Murat Yakin à la barre? La projection est nécessaire, elle dépasse bien sûr le cadre des qualifications à l’Euro 2024. Si la Suisse, seulement deuxième actuellement d’un groupe si faible et aussi improbable que cela puisse paraître, ne se qualifie pas directement pour le rendez-vous allemand (les deux premières places offrent un billet), la question devrait être vite tranchée: Yakin ne pourrait y survivre; si la Suisse parvient, avec de bons résultats dans quelques jours, à tenir son rang et à se qualifier, cela n’effacera pas tous les questionnements comme par magie: aller à l’Euro 2024 est bien le strict minimum et il s’agit surtout d’envisager ce futur, de le construire.

En l’état, où en est-on? Il y a une tension malsaine, depuis le début, entre Granit Xhaka et Murat Yakin. Le capitaine de la sélection, meilleur joueur suisse de l’histoire, ne doit pas avoir de blanc-seing, il n’est pas au-dessus des autres. Mais si la Suisse a grandi, c’est notamment sous son impulsion et on ne peut pas lui reprocher l’implication qui a permis ces progrès, en emmenant le reste du groupe avec lui, tous soudés autour d’une même idée de jeu. Quand Xhaka «se lâche», critique ouvertement certaines orientations, c'est pour le bien de l'équipe, parce qu’il voit ce qui se délite.

Granit Xhaka dans les bras de Vladimir Petkovic le 28 juin 2021, le soir de la qualification en quart de finale de l'Euro: l'union sacrée entre un sélectionneur et son capitaine en une image. On en est très, très loin, concernant les rapports entre Xhaka et Yakin.

Granit Xhaka dans les bras de Vladimir Petkovic le 28 juin 2021, le soir de la qualification en quart de finale de l'Euro: l'union sacrée entre un sélectionneur et son capitaine en une image. On en est très, très loin, concernant les rapports entre Xhaka et Yakin.

Daniel Mihailescu/AFP

Les problèmes actuels

C’est tout ce que Murat Yakin a cassé, ou grandement fragilisé, par ses choix tactiques ou stratégiques, sans parler d’un relationnel compliqué dès les premiers instants. Le constat, c’est une Suisse qui a drastiquement régressé sur le plan du jeu depuis deux ans et demi, soit depuis l’arrivée de Murat Yakin. C’était au lendemain d’un quart de finale à l’Euro 2021, il avait pourtant hérité d’une sélection en pleine confiance, avec un style, des résultats, une philosophie construite durant sept ans et une union sacrée dans le groupe autour de Xhaka et des leaders.

Le manque d’adhésion des joueurs essentiels aux idées de Yakin est également un signal peu encourageant pour le futur, même si la Suisse fait le nécessaire dans quelques jours. Aller à l’Euro n’étant pas une fin en soi (c’est le minimum légal, on le rappelle encore), il faut se demander ce qu’elle y fera vraiment si le climat interne est toujours délétère.

Enfin, il y a la vision d’avenir, qui interpelle aussi. Avant le match contre la Biélorussie, le mois dernier, il y avait une perspective à travailler: penser l’équipe de demain. Match à domicile, adversaire faible: tout aurait dû conduire Murat Yakin à intégrer des jeunes. Il a préféré titulariser Renato Steffen (32 ans), en laissant Ndoye et Amdouni sur la touche, en oubliant Rieder et Jashari en M21. Il avait déjà fait confiance à Fabian Frei lors des qualifs et même au Mondial 2022 (33 ans alors). Déficit d’anticipation.

Et après…?

La Suisse joue gros la semaine prochaine avec les trois matches au programme. On veut croire qu’à l’orgueil, pour leur crédibilité et pour leur CV, les internationaux sauront faire la différence pour s’offrir une fois de plus une phase finale d’un grand tournoi. Logique sportive.

De quoi régler le problème de fond concernant Yakin? Ce serait bien. On peut toujours croiser les doigts. Mais on en doute.

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