Ski alpinPirmin Zurbriggen: «Odermatt? Une danse parfaitement maîtrisée»
L’ancienne star du ski suisse a été bluffée par le doublé de Marco Odermatt pour son retour. Le Haut-Valaisan avait connu une blessure au même endroit, peu avant les Mondiaux de Bormio 1985, où il avait décroché deux titres. Il décrypte le phénomène.


Marco Odermatt a remporté les deux super-G disputés à Cortina d’Ampezzo le week-end passé, alors qu’il faisait son retour de blessure.
IMAGO/Independent Photo AgencyNous sommes en 1985. Vainqueur des deux descentes et du combiné sur la Streif de Kitzbühel, Pirmin Zurbriggen se blesse au ménisque lors de son deuxième succès en descente, nécessitant une intervention qui oblige le Haut-Valaisan à rester éloigné des pistes quelques semaines. Le «genou de la nation» ébranle la Suisse avant les Mondiaux de Bormio 1985.

En 1985 à Bormio, Pirmin Zurbriggen avait décroché deux titres mondiaux et une médaille d’argent, peu de temps après une blessure au genou.
imago images / WEREK INTERNATIONALDeux semaines après sa blessure, le Suisse est de retour et décroche deux titres de champion du monde (descente et combiné), ainsi que l’argent en géant. Près de quarante ans plus tard, c’est le genou de son successeur, Marco Odermatt, qui a inquiété la Suisse. Comme Zurbriggen, le Nidwaldien s’est blessé à Kitzbühel il y a deux semaines. Et «Odi», pas encore totalement rétabli, a signé un doublé en super-G pour son retour à la compétition le week-end dernier à Cortina.
Près de quarante ans plus tard, on a eu peur de revivre l’épisode du «genou de la nation» avec la blessure de Marco Odermatt à Kitzbühel. Vous aussi?
(Il sourit) Il y a un parallèle avec mon histoire, c’est vrai. Car le scénario est quasi le même. La chance de Marco, c’est qu’il n’a pas été touché au ménisque et semble avoir eu un problème avec l’articulation. Mais c’est toujours difficile de savoir comment va se dérouler le rétablissement. Après, il est dans une telle forme qu’il sait exactement ce que son corps lui envoie comme signal. Pour son retour à Cortina, il a dit qu’il ne se sentait pas dans le flow. Mais porte après porte, il est naturellement entré dedans, tout a joué parfaitement. Le voir à l’œuvre donne l’impression d’une danse parfaitement maîtrisée.
Comment avez-vous traversé cette période compliquée avec une blessure peu avant un grand événement?
Avec Marco, nous sommes tous les deux des immenses optimistes. Certains peuvent dire naïfs, mais dans cet état de forme, on sait ce qu’on est capables de faire. Avant les Mondiaux de Bormio 1985, je savais que les jours étaient comptés pour me rétablir. Je n’avais pas vraiment le temps de trop cogiter. Du coup, j’ai tout lâché et j’ai mis la priorité sur mon corps. J’acceptais les choses comme elles venaient et ça m’a permis d’être serein. Car c’est toi qui reste le maître de ce qui arrive. Marco ne semble pas se faire de soucis et c’est la meilleure recette.
Avez-vous été impressionné par son doublé en super-G à Cortina pour son retour à la compétition?
Quand tu reviens d’une blessure, tu ne sais pas exactement où sont tes limites et où placer la jauge du risque. Dimanche, le super-G était tracé de manière très difficile. J’ai été surpris par la manière dont Marco a trouvé la vitesse tout de suite, avec cette sensation d’accélération qui est extraordinaire.
Comment l’expliquez-vous?
C’est un ensemble de différents points. C’est lié à son style, son caractère, sa volonté. Mais aussi sa précision. Même avec des fautes, Marco est capable d’accélérer très rapidement sur quelques portes et les autres sont largués. Cela doit être frustrant pour ses adversaires (il rit)!
A commencer par son rival Kilde, qui a été éliminé sur le passage où Marco Odermatt s’en est mieux sorti que tous les autres…
Et ce passage montre toute la qualité de Marco! Il était plus direct que tous les autres. Mais à la fin, il a réussi à trouver une angulation qui lui permet de prendre des lignes que les autres sont incapables d’imiter. Après ces deux super-G, il sort encore plus fort. Il va falloir faire très attention pendant les Mondiaux. Car il sait désormais que quand les autres ont des problèmes, lui y arrive.
Son état de grâce lui fait-il prendre plus de risques, comme par exemple lors de la première descente de Kitzbühel où il s’est blessé au genou avec sa cabriole?
La confiance provoque une plus grande prise de risques, c’est certain. A Kitzbühel, sur cette pente, tu peux te faire surprendre à tout moment. C’est ce qui est arrivé à Marco. Pendant une fraction de seconde, il a perdu le contrôle, peut-être surpris par une neige qui ne tenait pas comme il le voulait. La charge sur le corps a été importante, on ne peut pas toujours tout contrôler. Mais ce qui est impressionnant, c’est la manière dont il a jonglé avec cette situation et comme il s’est rattrapé sur cette pente pourtant en dévers. Il a réussi à retrouver la bonne direction et à tenir la ligne. C’est fou!
Vous partagez un gabarit physique similaire et ce côté félin…
C’est vrai, Marco a un physique similaire au mien. Il a une manière aérienne de skier. A mon époque, on encaissait plus de coups sur la piste car il y avait plus de trous, ça tapait beaucoup. Si tu t’entraînais uniquement sur la force, tu étais perdu. Il fallait un bon équilibre. Aujourd’hui, l’entraînement est plus anglé sur la force et la stabilité du corps. Marco, lui, sait bien comment gérer son physique et cet équilibre pour briller dans plusieurs disciplines.
Il semble pourtant encore souffrir sur les parties de plat en descente…
Je pesais 85 kg, Marco est peut-être un poil plus lourd. Mais les purs descendeurs pèsent plus de 100 kg. Marco sait travailler avec son style et ses qualités et progresse sur les parties de glisse. Comme moi à l’époque, il sait qu’il peut reprendre du temps sur les parties techniques.
Marco Odermatt n’a donc pas besoin de prendre du poids pour s’imposer en descente?
Non, il ne doit pas prendre du poids. Vu que Marco fait aussi du géant, ajouter de la masse musculaire ne lui serait pas bénéfique pour cette discipline. Il doit garder cette flexibilité tant qu’il s’aligne en géant.