CubaUn appel à manifester qui hérisse le gouvernement
À Cuba, les opposants voulaient manifester le 15 novembre. Histoire d’étouffer toute velléité, le pouvoir préfère célébrer, ce jour-là, le 502e anniversaire de La Havane.

Les opposants cubains espèrent pouvoir remobiliser les citoyens comme le 11 juillet dernier.
AFPLe 15 novembre, les uns veulent célébrer le retour des touristes, les autres manifester pour la libération des prisonniers politiques: à Cuba, gouvernement et opposition se livrent à un bras de fer inédit sur fond de tensions avec les États-Unis. Ces dernières semaines, les deux camps ont joué au chat et à la souris, la dissidence demandant d’abord l’autorisation de manifester le 20 novembre, dans sept des 15 provinces de l’île. Le gouvernement a alors décrété ce jour comme celui de la Défense nationale, précédé de deux journées d’exercices militaires.
Les organisateurs ont répliqué en avançant leur projet de cinq jours, coïncidant ainsi avec le retour à l’école des élèves du primaire et la réouverture au tourisme, après la fermeture due à la pandémie. Nouvelle réponse des autorités communistes: interdire la manifestation, accusée de vouloir provoquer un changement de régime avec le soutien de Washington, et programmer ce jour-là des festivités pour le 502e anniversaire de La Havane.
«Personne ne va nous gâcher la fête!»
«Personne ne va nous gâcher la fête!» a lancé, d’un air ferme, le président Miguel Diaz-Canel face aux parlementaires. Pas de quoi faire renoncer l’opposition: «On considère que cette réponse était illégale, donc cela nous semble juste d’insister avec notre manifestation», explique Saily Gonzalez, 30 ans, qui organise la protestation à Santa Clara.
Propriétaire d’un petit hôtel dans cette ville célèbre pour abriter les restes du Che Guevara, elle veut donner suite aux manifestations spontanées et historiques ayant secoué l’île le 11 juillet, aux cris de «Liberté» et «On a faim». Selon l’ONG Cubalex, 1175 personnes ont été arrêtées lors de ces rassemblements, qui ont fait un mort et des dizaines de blessés, et 612 restent détenues.
Défiler le 15 novembre, «nous le devons à ceux qui ont manifesté le 11 juillet et sont aujourd’hui en prison», assure Saily. Même si, cette fois, il n’y aura plus l’effet de surprise. Saily Gonzalez et le dramaturge Yunior Garcia, 39 ans, créateur du groupe de débat politique Archipiélago (Archipel) sur Facebook et organisateur de la manifestation à La Havane, sont accusés par les autorités d’être payés par le gouvernement américain à des fins de déstabilisation. Les deux nient catégoriquement.
Coup d’État en douceur?
«Ma réponse, c’est d’ouvrir mon frigo», quasiment vide en raison des pénuries d’aliments sur l’île, soupire Saily pour prouver qu’elle ne reçoit pas d’argent, ajoutant que la crise économique est aussi le moteur de cet appel à manifester. Mais le président Diaz-Canel n’en démord pas: «Des diplomates américains se réunissent fréquemment avec les meneurs contre-révolutionnaires. Ils leur apportent une orientation, une motivation, un soutien logistique et, directement ou indirectement, financent leurs activités», a-t-il affirmé face aux députés.
Le journal télévisé a accusé Yunior Garcia de fomenter «un coup d’État en douceur», après avoir reçu un entraînement à l’étranger, s’appuyant sur le témoignage d’un médecin qui a révélé être un agent infiltré de l’État cubain. Yunior a lui-même reconnu avoir reçu un appel du plus haut responsable de l’ambassade américaine à La Havane, Timothy Zuñiga-Brown, mais avoir refusé sa proposition d’aide pour éviter que cela soit utilisé contre lui.
Mauvaise santé de l’économie, embargo, mécontentement
Pour William Leogrande, professeur à l’American University à Washington et spécialiste des relations entre Cuba et États-Unis, l’ambassade a toujours été «un canal de fourniture d’assistance matérielle aux dissidents cubains», et «cela jette un discrédit sur tous les opposants», qu’ils en bénéficient ou non. Confronté à une dissidence redynamisée par l’arrivée récente d’internet, mais toujours considérée comme illégale, «le gouvernement cubain se sent vraiment assiégé par la mauvaise santé de l’économie, par le renforcement de l’embargo et parce que le 11 juillet a révélé le profond mécontentement populaire». De quoi redouter sa réaction: la dernière fois qu’il s’est senti aussi menacé, c’était en 2003, et 75 dissidents avaient fini condamnés à de lourdes peines, rappelle l’universitaire.