ClimatUn réchauffement a provoqué un exode en Égypte il y a 10’000 ans
Des géologues de l’Université de Genève ont découvert en étudiant des rivières fossiles qu’une hausse des températures a provoqué de fortes crues dans la région du Nil.

Une image satellite montre les morphologies des rivières fossiles du sud de l’Égypte. Cette étude démontre que ces rivières étaient intensément actives pendant la période humide africaine.
Esri World ImageryLes effets provoqués par un brusque réchauffement climatique tel que nous le connaissons aujourd’hui sont déjà perceptibles, mais on ignore encore quelle ampleur ils pourront atteindre. Les leçons du passé pourraient nous donner quelques indications, comme cette découverte faite par une équipe dirigée par l’Université de Genève. Elle a constaté qu’une hausse des températures a provoqué de fortes crues dans la région du Nil il y a 10’000 ans, ce qui fournit une explication à la forte migration des populations riveraines de la région vers le centre du territoire à cette époque, migration qui avait été établie par les archéologues.
Les géologues se sont intéressés aux rivières fossiles au nord du lac Nasser en Égypte afin de reconstruire l’hydrologie de cette région à l’époque. L’Afrique a en effet connu une période humide, entre 14’800 et 5500 ans avant notre ère, caractérisée par un Sahara encore vert. Le nord du lac Nasser était donc à l’époque bien arrosé, mais est aujourd’hui aride. Étudier ses rivières fossiles permet, selon le communiqué de l’Université, «de déterminer quelles étaient les quantités d’eau en circulation, ainsi que les quantités et les fréquences des pluies», explique Abdallah Zaki, chercheur au Département des sciences de la Terre de la Faculté des sciences de l’UNIGE et premier auteur d’une étude parue ce 26 octobre dans Science Direct.
Pour trouver le débit de ces cours d’eau, les scientifiques commencent par observer les galets des rivières fossiles. «De gros galets indiquent un important débit d’eau, capable de les transporter, tout comme la profondeur et la largeur de la rivière qui permettent de retracer le débit d’eau en mètres cubes par seconde», indique Sébastien Castelltort, professeur associé au Département des sciences de la Terre et dernier auteur de l’étude. Puis on mesure la surface du bassin de drainage, soit la zone qui connecte les eaux en amont de la rivière. «En associant ces deux chiffres, on obtient le taux de précipitation responsable du transport des sédiments étudiés».
Fréquentes précipitations de 55 à 80 mm par heure
Reste à dater précisément ces rivières. Ce qui a été fait, en collaboration avec l’EPFZ, grâce à la datation au carbone 14 de la matière organique qui comble la rivière fossilisée ainsi qu’en mesurant la luminescence des quartz pour obtenir l’âge du dépôt des sédiments, mesure réalisée par des spécialistes de l’Université de Lausanne.
Les six rivières de la région étudiées étaient principalement actives entre 13’000 et 5000 ans avant notre ère, soit en pleine période humide africaine. «Mais ce qui est particulièrement intéressant, c’est que notre étude démontre que les précipitations étaient très intenses, de 55 à 80 mm par heure, et ce 3 à 4 fois plus fréquemment qu’avant la période Africaine humide, ce qui est énorme!» relève Abdallah Zaki. En effet, le taux annuel de précipitation seul ne permet pas de rendre compte de l’intensité des pluies et donc des conséquences qui en découlent. «Si nous prenons l’exemple de Londres, nous avons la sensation qu’il y pleut tout le temps, illustre Sébastien Castelltort. Or, on mesure à Londres en moyenne 680 mm de pluie par an, contre environ 1400 mm à Genève, soit plus du double!» C’est simplement qu’à Londres, les pluies s’étalent sur toute l’année, alors qu’elles sont plus concentrées à Genève.
La température a augmenté de 7 degrés
Cette brusque augmentation d’épisodes de pluies intense donne donc une explication à la forte migration des populations riveraines de la région vers le centre du territoire à cette époque. «Les crues violentes des rivières se sont multipliées, rendant les berges inhospitalières», confirme Abdallah Zaki. Cette multiplication par 4 des précipitations violentes coïncide également avec une augmentation de l’ordre de 7 °C des températures de cette région. «Cette étude nous donne ainsi une leçon historique racontée par les roches sur la manière dont le système Terre se comporte en cas de réchauffement climatique rapide», indique Sébastien Castelltort.
Comprendre la distribution des précipitations sur l’année va devenir un enjeu capital de prévention des risques aujourd’hui, car étant dans une période de réchauffement climatique, ceux-ci vont également se multiplier prochainement. «Ce qui s’est passé en Allemagne cet été devrait ainsi devenir plus courant», conclut-il.