Football18 journées de tactique en 6 questions
La première partie de saison de la Super League s’est clôturée il y a une semaine. L’occasion d’un bilan sur ce qui l’a animé sur le plan du jeu.


Dominée jusqu’ici par le FC Zurich, la Super League aura été intéressante. Mais elle reste très ouverte.
freshfocusLa Super League a tiré le rideau sur l’année 2021. Et non sans promesses. Rarement ces dernières années, le championnat de Suisse aura semblé aussi incertain avant le printemps. C’est peu dire qu’il y a de quoi se réjouir de son retour le week-end des 29 et 30 janvier 2022. Parce qu’à mi-parcours, il y a un Zurich inattendu qui domine le classement, avec 5 points d’avance sur Bâle et 8 sur le quadruple champion en titre Young Boys. En bas, la perspective d’une lutte à trois entre Saint-Gall, Lausanne et Lucerne peut aussi être haletante. À tous les étages, la Super League semble proposer une réflexion. À mi-parcours, l’heure est à un premier bilan tactique. En questions.
Comment est le football suisse version 2021-22?
Pas de jugement de valeur. Mais un constat: il est vertical. Excepté Young Boys (59% de moyenne) et Bâle (56,1%), aucune équipe n’a une possession de balle qui s’éloigne nettement d’un partage équitable. Autrement dit, rares sont les équipes à avoir prôné le contrôle comme une valeur cardinale. YB s’y plie plus par contrainte que par choix, face à des adversaires qui cherchent principalement à leur causer du tort avec un bloc bas et des transitions rapides. Forcément.
Même les formations et les entraîneurs pourtant animés par la possession tendent à réajuster leur approche, pour la rendre plus directe. Servette, par exemple, est allé mieux dès qu’il s’est résolu à avoir un barycentre un peu plus bas et une démarche plus verticale. Le Grasshopper de Giorgio Contini aime repartir depuis derrière, mais les circuits qu’il met en place ont vocation à créer de l’espace dans le dos des défenses adverses pour pouvoir offrir de la profondeur à ses éléments forts, à l’instar de Kaly Sène.
Parce qu’à Young Boys, Zurich, Saint-Gall ou Lugano, l’idée est aussi de mettre sur pied un plan de jeu qui permette de faire briller ses meilleurs éléments. Assan Ceesay n’a jamais été aussi pertinent dans un FC Zurich qui recherche la verticalité, où il est accompagné par les projections d’Adrian Guerrero côté gauche. La quête de la profondeur devient l’élément central de la réflexion de la plupart des techniciens de Super League. Les joueurs qui ont cette mobilité sont valorisés, qu’importent leurs postes. Avec plusieurs méthodes donc: le jeu très direct quand il est possible (YB), l’attraction du pressing adverse (GC), le bloc attentiste avec une projection immédiate à la récupération (Lugano ou Servette), les combinaisons sur les côtés pour créer de l’espace à l’opposé (FCZ). Entre autres.
Un système fonctionne-t-il mieux que les autres?
Non. La Super League est éclectique. Cela la rend intéressante. Elle est flexible aussi. Au point qu’avec son changement d’entraîneur, Young Boys s’est permis quelques ajustements qu’il se gardait depuis longtemps. Même si le passage ponctuel en 4-3-3 n’a pas été particulièrement prometteur et a très vite laissé place au 4-4-2 traditionnel (quitte à faire de Fabian Rieder un ailier très intérieur sur les deux ultimes matches contre Bâle et Lugano), il permet d’élargir le spectre. En bas de tableau, Lucerne et Lausanne ont régulièrement fait varier leurs approches avec et sans ballon. Les Vaudois adoptent par exemple un système à trois défenseurs en phase offensive, mais se replient en 4-4-2 quand ils doivent défendre.
Si Zurich est donc en tête avec son 3-4-1-2 (modulable), ce n’est donc pas forcément une question de système. Les joueurs à disposition et sur lesquels les entraîneurs misent déterminent l’animation, laquelle découle du système. Aux cinq premiers rangs de Super League, il y a ainsi cinq schémas qui ne se ressemblent pas forcément. Mais qui ont chacun leur pertinence dans un contexte.
De quoi la 1re place de Zurich est-elle le nom?
De principes clairs. André Breitenreiter a donné une ligne à son FCZ. Cela ne veut pas dire que tout est parfait, mais cela révèle une volonté de toujours se raccrocher à des idées qui s’inscrivent dans la durée. Et qui sont adaptables à l’adversité. Un exemple, sans ballon, déjà: Zurich déploie globalement assez peu d’intensité dans le camp adverse, que ce soit dans les courses ou dans la recherche du duel. En revanche, le positionnement général démontre une réflexion. Les défenseurs centraux adverses sont toujours cadrés, alors que le ou les milieux défensifs sont marqués de près. L’adversaire est donc contraint à jouer sur les côtés, où les extérieurs Guerrero et Boranijasevic sont prompts à sortir. Ou alors à allonger, dans un registre où les Zurichois opposent une résistance sereine.
Et puis, lorsqu’il s’agit de déployer du jeu, l’animation zurichoise permet d’être très actif sur les côtés. Forcément, le recrutement de Guerrero et Boranijasevic en ont fait un point fort. C’est en s’appuyant sur eux que le FCZ progresse et crée du danger. Plus précisément, en y créant un surnombre, en accompagnant les extérieurs avec les défenseurs centraux excentrés (Aliti et Omeragic) et les milieux (Doumbia, Dzemaili et/ou Krasniqi). Cela libère des espaces ailleurs, qui permettent de faire briller Assan Ceesay et Antonio Marchesano, notamment.
Avec une limite toutefois, plus d’une fois exposée (contre Bâle fin octobre ou Saint-Gall lors de la 18e journée notamment): la fébrilité à la perte de balle. Les trois défenseurs sont régulièrement livrés à eux-mêmes fassent aux projections adverses. Même si pour l’instant, cela tient. Jusqu’à quand?
YB a-t-il perdu la recette, Bâle peut-il en profiter?
Gare au retour de Young Boys. Et ce malgré ses 8 points de retard sur Zurich à mi-parcours. Car au-delà d’un changement d’entraîneur, les Bernois ont durant l’automne souffert de l’accumulation des blessures et des matches. De quoi expliquer une difficulté à avoir autant d’emprise sur les matches, même si l’intensité demeure. Surtout, avec le ballon, YB se déstructure plus qu’avant et le paye cher avec des transitions adverses bien menées. Il y a là des ajustements à trouver. Et une défense de surface à renforcer, ce que devrait permettre le retour de Cedric Zesiger. Parce que dans la création offensive, cela reste efficace: Young Boys est l’équipe qui s’est procuré le plus d’Expected Goals depuis le début de saison (43,20 xG).
Reste qu’avant de viser Zurich, il faudra déjà dépasser Bâle, qui compte trois points de plus. Mais qui peut profiter d’une réussite presque indécente lorsqu’il s’agit de préserver sa cage (19 buts encaissés, alors que les xG en prédisent plus de 33, le pire score du championnat). Les Rhénans le doivent en grande partie à leur portier Heinz Lindner, de loin le gardien le plus performant du championnat sur sa ligne jusqu’ici. D’autant plus que, dans le jeu, Bâle demeure difficile à lire, mais avec des individualités au-dessus de la moyenne. Collectivement, en revanche, il peut y avoir de quoi justifier les doutes émis par le propriétaire David Degen sur le propriétaire Patrick Rahmen. Le titre de champion semble en tout cas être une entreprise complexe.
Les clubs suisses défendent-ils bien?
C’est très relatif. La moyenne de buts inscrits (et donc encaissés) sur cette première partie de saison est là pour l’appuyer. Jamais récemment elle n’avait été aussi élevée, avec 3,3 buts par match (contre 2,86 la saison passée). Corollaire de l’approche générale, autrement plus verticale, sans doute. Le déséquilibre est aussi plus assumé. Sur les nonante rencontres disputées jusqu’ici, qu’une seule s’est terminée sur un 0-0 (YB-GC, à la 2e journée) et neuf autres n’ont été le théâtre que d’un seul but.
Signe d’une protection majoritairement défaillante. Dans la surface, forcément. Mais pas seulement. Parce qu’il faut s’interroger sur la qualité du pressing en Super League. Début décembre, dans une interview pour la Tribune de Genève et 24 Heures, le sélectionneur de l’équipe de Suisse M21 Mauro Lustrinelli estimait qu’«en Super League, peu d’équipes pressent». Ou avec une organisation qui ne fonctionne pas. Comme pour justifier l’ampleur de la tâche de le mettre en place avec sa sélection.
Cela se vérifie. Rares sont les équipes à pouvoir totalement étouffer l’adversaire sur la base de leur pressing en championnat suisse. Même si plusieurs essayent. Saint-Gall n’est plus capable de déployer la même intensité qu’il y a deux ans. Young Boys a pâti des blessures et des matches qui s’enchaînaient, Bâle peut manquer de coordination lorsqu’il s’y met et GC n’a pas l’approche idoine pour y parvenir, malgré certaines intentions.
Presser est-il donc pertinent en Super League? Par séquences, oui. Cela peut fonctionner. Mais les plans B ne sont pas parfaitement affinés, notamment à la perte de balle. Et lorsqu’il s’agit de se replier, les carences des uns et des autres sont révélées au grand jour. Notamment parce que personne n’est pour l’instant capable de produire un contre-pressing très efficace. La marge de progression se situe là.
Comment se maintenir en Super League?
Question piège. Lausanne et Lucerne avaient chacun des ambitions de jeu avant le début de saison. Ils en sont en partie revenus, même si aucune des deux formations n’est véritablement capable de défendre de longues séquences proches de son but. Elles n’attaquent donc plus, mais elles ne défendent pas beaucoup mieux. Reste à voir comment Mario Frick, qui avait échoué dans son opération maintien avec Vaduz l’an dernier, pourra donner une autre identité à Lucerne lors de la deuxième partie de saison.
Après dix-huit journées, parmi les équipes qui devaient se battre contre la relégation, c’est probablement Lugano qui s’en tire le mieux. Les Tessinois défendent mieux que presque n’importe qui, en misant sur un bloc médian, actif dès la ligne médiane. Soit plus haut que la saison passée. Ce qui lui permet aussi de se projeter à plusieurs et d’obtenir de meilleurs résultats avec Mattia Croci-Torti.
Grasshopper, de son côté, reproduit l’approche du LS de l’an dernier, avec Giorgio Contini à sa tête: des sorties de balles toujours travaillées, et une alternance entre séquences de pressing et bloc relativement bas. Ce n’est pas toujours efficace, mais les Sauterelles sont à leur place. Quant à Sion, il a opté pour une version minimaliste, avec un bloc travailleur entre les zones 1 et 2 et la recherche de Stojilkovic à la récupération.
Saint-Gall, Lucerne et Lausanne devront donc avoir donc certaines inspirations pour espérer se maintenir. Et notamment dans leur comportement défensif.