JuraLes potences de Coghuf prennent de la couleur
L’emblème d’une lutte contre l’implantation d’une place d’armes aux Franches-Montagnes est une affiche en noir et blanc présente depuis toujours au Café du Soleil de Saignelégier. Elle apparaît dans sa version sur toile.

Des squelettes sous des potences: depuis 1963, cette image symbolise la lutte contre l’implantation d’une place d’armes aux Franches-Montagnes. Sous la forme d’une estampe, cette œuvre de l’artiste bâlois Ernst Stocker (1905-1976), dit Coghuf, fait partie des meubles, au Café du Soleil de Saignelégier.
«Ce tableau est là depuis toujours. Pour l’enlever, il faudrait une autorisation…», sourit le tenancier du Soleil, Musa Kivanc. Le lien entre cet établissement et Coghuf est viscéral: à partir de 1929, l’artiste bâlois effectuait des séjours dans cette bâtisse de Saignelégier.
Collectionneur schaffhousois
La surprise a surgi mardi dernier à Delémont, au Musée jurassien d’art et d’histoire: les deux fils d’un collectionneur schaffhousois ont fait cadeau d’une version couleur, une toile intitulée «Spectre» réalisée par Coghuf en 1964. C’est l’historien d’art Yves Guignard qui a retrouvé la trace de cette toile en préparant un livre sur l’œuvre de Coghuf, artiste pacifiste et communiste.
D’un coup, la couleur surgit dans une œuvre emblématique. La toile présentée désormais à Delémont est une déclinaison d’une affiche militante contre l’implantation d’une place d’armes aux Franches-Montagnes. Elle reposait dans un dépôt.
Logique pacifique
C’est dans une logique pacifiste que Coghuf s’était engagé dans le combat contre une place d’armes aux Franches-Montagnes. Son souci, quand il a peint le «Spectre», c’était la protection du paysage. Dans ses gravures, Coghuf sublimait le danger de la guerre. Ce n’était pas un combat patriotique, mais écologique, tandis que pour les leaders séparatistes, refuser les blindés militaires revenait à s’opposer au pouvoir bernois.
Le combat contre l’implantation d’une place d’armes aux Franches-Montagnes, c’est une fierté du peuple jurassien, parallèlement à la lutte pour son indépendance cantonale. Alors que Coghuf est mort à Muriaux le 13 février 1976, c’est en décembre de cette année-là qu’a été signé l’acte de vente des terrains acquis par la Confédération et rétrocédé à trois communes.
Années de braise
Les années de braise ont vu deux fermes incendiées par des activistes. Devant une ferme des Joux-Derrière aux Genevez, dans le périmètre promis à l’armée, un hêtre de 350 ans a survécu à la chaleur de l’incendie de 1963, mais il en porte les stigmates.
Si les trois communes des Genevez, de Lajoux et de Montfaucon. ont pu acheter en copropriété 289 hectares autrefois privés pour 1 350 000 francs, soit un tiers du prix payé par la Confédération, c’est à l’initiative de l’ancien maire de Montfaucon, Raymond Fleury, au terme d’âpres négociations engagées avec le Conseil fédéral.
La motivation des militants était antimilitariste, mais celle de Coghuf et d’autres opposants était d’assurer la pérennité du paysage, voire de servir l’agriculture, même si le rachat des terres était lié à une restriction: pas de subventions fédérales et cantonales pendant un demi-siècle!
Pour nos chevaux
«Ce qui compte, c’est le maintien de ces grands pâturages pour nos chevaux. J’ai signé pour ce paysage», disait Raymond Fleury en 2106. L’acte notarial signé par quatre conseillers fédéraux est perçu aux Franches-Montagnes comme un «épisode historique entre ceux qui ont lutté et la nouvelle génération».
Négociateur avec ses collègues Rudolf Gnägi, Kurt Furgler et Willy Richard, le conseiller fédéral Georges-André Chevallaz a écrit à Raymond Fleury le 10 janvier 1977: «Je voudrais vous remercier encore de l’accueil cordial que vous m’avez réservé aux Franches-Montagnes», en joignant des chocolats pour ses enfants et des compliments pour son épouse.