CommentaireGrandeur et petitesse de la neutralité helvétique
En louvoyant sur une aide militaire indirecte à l’Ukraine, la Suisse peut donner l’impression de cacher son jeu.


La Suisse a pris le parti de l’Ukraine contre l’invasion russe, mais reste prudente quant à l’issue du conflit.
Getty Images/iStockphotoQuand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Les tergiversations parlementaires autour de la réexportation de matériel militaire suisse vers l’Ukraine provoquent un certain malaise. Les pays qui ont fait des demandes en ce sens, à commencer par l’Allemagne, doivent être déçus, mais pas surpris par la tournure du débat en Suisse. La lenteur du processus de décision est en soi déjà une stratégie pour continuer à ne dire ni oui, ni non, bien au contraire.
Mercredi, le Conseil national a choisi de lier l’autorisation de réexporter des armes à l’Ukraine à la levée du veto russe au Conseil de sécurité des Nations Unies. Sachant très bien que Moscou ne le fera jamais, le Conseil fédéral peut dormir tranquille et continuer à refuser les demandes qui lui seront faites. Au Parlement, certains estiment toutefois qu’en prenant cette décision, la Suisse a envoyé «un signal». Mais à qui? Aux Russes?
De l’égalité de traitement
Certes, la Suisse fait sa part dans cette guerre. Avec la reprise des sanctions européennes, l’accueil des réfugiés ou l’aide humanitaire, elle est dans le camp occidental face aux tanks du Kremlin et sa milice Wagner. Mais quand les Ukrainiens ont besoin d’armes, car il s’agit bien d’une guerre, la Suisse se contorsionne au nom du droit à la neutralité et de l’égalité de traitement. D’où ce raisonnement spécieux du Conseil fédéral: si l’on fournit des armes à l’Ukraine, on doit aussi en fournir à la Russie! Si le fondement de notre neutralité nous oblige à aider autant l’agresseur que l’agressé, alors il faut changer de neutralité.
Mère protectrice
Le Conseil fédéral et de nombreux parlementaires ont évoqué cette semaine le droit à la neutralité comme un dogme sacré, l’ADN de la nation, qui doit être préservée sur le long terme et non adapté sous le coup de l’émotion. Il s’agit de la plus haute valeur morale, qui nous inscrit comme le pays le plus fiable du monde dans le concert des nations. La neutralité est ainsi une mère protectrice.
Mère intéressée
Mais il y a une autre façon d’appréhender cette neutralité, qui est plus prosaïque dans le cas de l’Ukraine. C’est l’attitude qui consiste à jouer sur les deux tableaux de façon à se ménager une porte de sortie lorsque le conflit prendra fin. À ce moment-là, les affaires pourront reprendre avec la Russie sans qu’elle ait à reprocher à la Suisse d’avoir laissé vendre une munition à son ennemi ukrainien. La neutralité est ici une mère intéressée.
Cela dit, nos partenaires occidentaux savent lire depuis longtemps dans le jeu de la Suisse. Lui tiendront-ils rigueur de cette neutralité un peu lâche qu’elle manifeste en ce moment? L’avenir nous dira si c’était le bon choix.