MédecineDes billes simples à avaler pour traiter une diarrhée mortelle
Des équipes de l’Université de Genève et du CHUV ont mis au point une technique pour administrer un traitement autrement que par sonde nasale ou colorectale.

Pour l’instant, le traitement de l’infection à Clostridioides difficile s’administre soit par sonde, soit par de grosses gélules à prendre en grande quantité sur deux jours, ce qui est très contraignant, notamment pour les enfants.
Getty Images/iStockphotoL’infection à Clostridioides difficile, qui provoque de sévères diarrhées, entraîne le décès de près de 20 000 personnes en Europe chaque année. C’est l’une des infections nosocomiales (infection contractée au cours d’un séjour dans un établissement de soins ou lors d’une thérapie) les plus fréquentes.
Lorsqu’elle récidive, la maladie doit être traitée par transplantation de microbiote fécal. Cela consiste à administrer une préparation de matière fécale issue d’un sujet sain à un patient. Ceci se fait par sonde nasogastrique (par le nez) ou colorectale, notamment. Donc ce traitement s’avère très contraignant. Des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec le CHUV, ont mis au point de petites billes à prendre par voie orale, qui pourraient révolutionner son administration.
Récidive chez une personne sur trois
Présente naturellement chez 15% de la population, la bactérie Clostridioides difficile peut devenir pathogène lorsque les «barrières» protectrices de notre flore intestinale se trouvent fragilisées. C’est le cas, en particulier, après une prise d’antibiotiques prolongée et répétée. La bactérie provoque alors d’importantes diarrhées et peut entraîner une inflammation très sévère du côlon, appelée colite pseudomembraneuse. Avec plus de 124 000 cas par an en Europe, il s’agit de l’une des infections nosocomiales les plus fréquentes. Elle s’avère mortelle dans environ 15% des cas.
Traitée par antibiotiques, l’infection récidive chez une personne sur trois. La transplantation de microbiote intestinal est alors recommandée. Elle consiste à prélever de la flore intestinale dans les selles d’un donneur sain pour la transférer dans le tube digestif de la personne atteinte. Ce traitement efficace, qui permet de reconstituer le microbiote intestinal, est toutefois très inconfortable: on l’administre par sonde nasogastrique ou colorectale, ou par lavement. Il existe des gélules orales mais, en raison de leur taille (8,2 mm de large et 23,3 mm de long) et de leur posologie (30 à 40 gélules, à prendre sur 2 jours!), leur prise est également très contraignante.
Des perles de 2 millimètres
La nouvelle technologie mise au point par une équipe de l’UNIGE en étroite collaboration avec le Service des maladies infectieuses et le Service de pharmacie du CHUV permet de surmonter la majeure partie de ces obstacles. «Notre technique permet d’encapsuler vivants les micro-organismes présents dans les selles du donneur dans de petites perles d’environ 2 millimètres à prendre par voie orale», explique Adèle Rakotonirina, doctorante à la Section des sciences pharmaceutiques de la Faculté des sciences de l’UNIGE et à l’Institut des sciences pharmaceutiques de Suisse occidentale (ISPSO), première auteure de l’étude parue dans l’«International Journal of Pharmaceutics». Ces billes ont l’avantage de contenir la même quantité de bactéries vivantes que les gélules prescrites actuellement, mais dans un volume dix fois moins important.

Microparticules d’alginate contenant des souches bactériennes isolées (particules blanches) et un transplant fécal (particules brunes), avec un zoom sur la structure des microparticules par microscopie électronique à balayage.
CC BY-NC-ND 4.0, Adèle Rakotonirina et Nathalie BoulensPour les concevoir, les scientifiques ont mélangé de la matière fécale à de l’alginate, soit des sucres ou biopolymères issus d’une algue brune. Ce «mix» de sucres et de selles a ensuite été plongé, goutte par goutte, dans de l’eau contenant du chlorure de calcium. Cette opération a eu pour effet de gélifier ces gouttes. L’eau qu’elles contenaient a ensuite été extraite par lyophilisation pour aboutir à de petites billes solides, capables d’acheminer les bactéries souhaitées jusque dans les intestins.
Sans goût
«Lors de leur administration, ces billes brunâtres peuvent être facilement dispersées dans un liquide ou un aliment agréable à consommer. Elles n’ont pas de goût. Elles pourraient donc grandement faciliter la prise du traitement, en particulier pour les enfants», indique Eric Allémann, professeur ordinaire à la Section des sciences pharmaceutiques de la Faculté des sciences de l’UNIGE et à l’ISPSO, dernier auteur de l’étude. Cette technologie, qui devra faire l’objet de tests cliniques, ouvre de nouvelles perspectives prometteuses pour lutter contre l’infection à Clostridioides difficile. La prochaine étape, pour l’équipe de recherche, consistera à lier les échantillons de microbiote fécal à d’autres polymères, afin de définir le mélange permettant l’acheminement optimal des bactéries jusque dans les intestins.