Vaud – NeuchâtelLe célèbre luthier ne retournera pas en prison: «Il est à nu»
L’artisan chaux-de-fonnier a repris son cœur de métier et laissé tomber les affaires fumeuses. Récidiviste, il obtient le sursis grâce à un arrangement.

Ce mardi matin, c’est un luthier fatigué qui s’est présenté au Palais de Montbenon pour répondre d’abus de confiance, d’escroquerie par métier, de gestion déloyale, de faux dans les titres, subsidiairement de faux dans les certificats. À 66 ans, l’accusé patiente à l’autre bout de la salle d’audience dans laquelle seuls les juges du tribunal correctionnel vaudois, son avocat Me Marc-André Nardin et la procureure Audrey Rentsch (ndlr. qui a repris le dossier instruit par Arnaud Bregnard) se sont enfermés à huis clos. Deux témoins attendent également d’être introduits, tout comme la presse ou cette classe venue assister au procès. Plus de parties plaignantes. Elles ont toutes retiré leur dénonciation. Des millions de francs sont pourtant en jeu. Et l’accusé a admis les faits.
«J’ai déjà payé»
Dans les pas perdus, l’artisan parle «d’une vieille histoire pour laquelle il a déjà payé». La justice bernoise l’a condamné à 3 ans dont 18 mois ferme. Courant 2019 et 2020, il purgera finalement 9 mois à la prison de Witzwil (BE) et le restant, un bracelet électronique à la cheville. Cette fois-ci, c’est la justice vaudoise qui l’a rattrapé pour des infractions similaires. Entre 2005 et 2017, le Neuchâtelois mondialement réputé pour son expertise s’est enlisé, consciemment. S’il excelle dans l’art de la lutherie, il est un piètre gestionnaire. Il dit «regretter», parle «d’un énorme gâchis». Il a pourtant grugé, de longues années, une dizaine de privés, de connaissances, d’amis et de sociétés par le biais d’un procédé astucieux et répété à l’envi.
«C’était de l’argent facile. Je me suis fourvoyé»
Le luthier était censé dégotter des objets précieux – des violons en particulier – et les revendre avec une plus-value à partager avec ses investisseurs ou ses mécènes qu’il séduisait par son talent jamais dénié. Le plus floué, c’est Antoine*. «Je n’aurais jamais dû le rencontrer, insiste le luthier. C’était de l’argent facile. Je me suis fourvoyé.» Contre toute attente, le principal plaignant est absent au procès. L’homme d’affaires, anciennement à la tête de plusieurs entreprises lausannoises, vivrait désormais en Afrique. Il serait même à l’origine de l’arrangement intervenu entre les parties, selon l’escroc présumé bien plus bavard à l’extérieur de la salle d’audience que lors des débats. Ils ont ainsi transigé pour un montant dû de 150’000 francs au lieu de près de 2,7 millions perçus par le Chaux-de-Fonnier!
6 millions cédés
Les autres partenaires, dont la plupart provenaient du réseau d’Antoine, y auraient laissé des plumes en effectuant des virements à hauteur de quelque 1,2 million. Le Ministère public retient ainsi un préjudice global de l’ordre de 3,8 millions. L’on ignore en revanche pourquoi le luthier a dû céder l’intégralité de ses biens immobiliers et de sa collection personnelle de tableaux, de violons d’époque, d’autres instruments et de pochettes. «Plus de 6 millions pour rembourser tous les autres investisseurs qui n’ont pas porté plainte», réplique le luthier. «Mon client n’a plus un sou, il est à nu, il gagne 3765 francs par mois, y compris l’AVS», a évoqué son défenseur Me Nardin. Pas de plaidoirie, pas de réquisitoire non plus, en cas de conciliation.
«Une culpabilité importante»
La Cour correctionnelle a déjà pu rendre son verdict, suivant en tout point la proposition de la procureure Audrey Rentsch. Le prévenu est condamné à une peine de 18 mois avec sursis durant 3 ans, assortie d’une obligation de conduite s’agissant de son engagement à rembourser ses victimes. Pour les juges vaudois, il s’est rendu coupable d’abus de confiance et de faux dans les titres. L’escroquerie par métier n’a pas été retenue en raison de la prescription, la gestion déloyale non plus faute d’éléments constitutifs.
Sa culpabilité est considérée comme «importante». Quelques minutes après la lecture de sa sentence, le sexagénaire n’a pas caché son soulagement: «J’avais tellement peur de retourner en prison». L’homme a repris son cœur de métier et rouvert un atelier au Landeron (NE), bien loin des opérations frauduleuses et «des affaires plus grosses que lui».
*Prénom d’emprunt