CoronavirusNouvelles pubs pour la vaccination: «Cette campagne est catastrophique»
L’OFSP a présenté ce lundi ses affiches pour inciter la population et les jeunes à recevoir leur piqûre. Un spécialiste en communication nous dit tout le mal qu’il en pense.


L’une des trois affiches de la nouvelle campagne pour la vaccination, celle qui rappelle qu’il sera ainsi plus facile de voyager une fois vacciné.
OFSPLe 11 août, Alain Berset présentait la stratégie du Conseil fédéral sur la pandémie pour les semaines à venir. Ceux qui voulaient se faire vacciner ayant eu le temps de le faire, inutile de prendre de nouvelles mesures restrictives, même face à une nouvelle vague des contaminations. Les non-vaccinés courent un risque mais, pour le Conseil fédéral, ils doivent l’assumer. Tout comme, dès octobre, ils devraient également payer les tests s’ils en font alors qu’ils sont asymptomatiques.
Mais le gouvernement n’a pas renoncé à tout de même continuer à inciter un maximum de personnes à aller se faire vacciner. Alain Berset a d’ailleurs annoncé mercredi dernier qu’une nouvelle campagne d’incitation allait être lancée le 16 août.
La voici donc: elle se compose de trois affiches, sur lesquelles on voit des jeunes gens se précipiter dans une direction, sous le slogan. «À ne pas manquer: faites-vous vacciner». Selon le communiqué de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), «la campagne rappelle à tous les adultes et adolescents qui n’ont pas encore été vaccinés et à tous ceux qui hésitent que c’est le bon moment pour le faire, compte tenu notamment de l’augmentation du nombre de cas et des variants». Et que «toute personne qui se fait vacciner avant l’automne aide à contenir une nouvelle vague de la pandémie et contribue à rétablir les libertés de la vie quotidienne». Louable intention, mais le visuel et les termes employés interpellent: va-t-on vraiment inciter qui que ce soit (et surtout les jeunes) à se faire vacciner avec ça?

Les affiches, avec trois jeunes personnes, deux femmes et un homme, se rendant en courant ou en skateboard vers, on imagine, un lieu de vaccination.
OFSPUne impression confirmée, et plutôt deux fois qu’une, par Jean-Henri Francfort, conseiller en communication à Lausanne et spécialiste en communication médicale: «L’enfer est pavé de bonnes intentions mais quand ce ne sont pas des pros aux manettes, ça donne des messages de bric et de broc comme ceux-là».
Il a analysé pour nous les trois affiches. Commençons par le message principal qui se retrouve sur les trois: «On récupère d’abord un élément existant, il n’y a pas de petites économies: «Voici comment nous protéger». Là déjà, on sent l’amateurisme: pourquoi «nous» protéger alors qu’on devrait motiver la bénéficiaire du vaccin? «Voici comment vous protéger» serait plus incitatif et inclurait le segment des jeunes dans les malades possibles».
Formulation atroce
«Ensuite, «À ne pas manquer» est un langage de pub, absolument pas crédible pour la catégorie d’âge visée, et détonant complètement dans l’esprit qui devrait être celui de ce message. «Faites-vous vacciner» est une injonction, un ordre qui entre précisément en conflit direct avec ceux qui ne veulent pas du vaccin! De plus, la formulation française: «À ne pas manquer: faites-vous vacciner» est atroce…»

Pour l’affiche ayant pour sujet les voyages: «Le seul argument motivant de l’affiche, «Voyage plus relax», est réduit à une surface ridicule et posé là, comme par hasard. Il est vrai que le petit sac de ville du mannequin n’évoque pas du tout le voyage… Enfin, on passe du «comment nous protéger» à «voyage plus relax» en passant par «faites-vous vacciner»: 3 sujets différents alors qu’on ne devrait s’adresser qu’à une seule cible, les jeunes. Et soit on tutoie, soit on vousoie mais on ne change pas en cours de route. Quant à la fille, elle est sympa mais on voit qu’elle se sait photographiée: on dirait qu’elle attend que ça passe. ».

Pour cette deuxième affiche, «le thème «Chaque vaccination compte» n’est une motivation (altruiste, en plus!) que pour ceux qui ont entendu parler de l’immunité collective. Quel argument s’adressant spécifiquement aux jeunes trouveront-ils dans cette triste affiche? Et pour bien montrer que les auteurs ne connaissent rien à la sémiologie de l’image non plus, la fille porte, elle, un bagage de voyage alors que le thème est «Chaque vaccination compte»…»

Pas mieux avec la troisième: «Le slogan «Retour à plus de normalité» n’a rien à voir avec le skate, qui n’a jamais été interdit! Incohérence de plus entre image et textes».
Jean-Henri Francfort n’est pas tendre avec cette campagne: «Je n’ose imaginer le coût de la «conception» de ces affiches. Mais à mon avis, elles ne valent pas plus que le salaire de trois journées d’un petit fonctionnaire fédéral, frais photos et impression en plus. Et si on m’en avait soumis les projets, ils auraient enrichi ma poubelle immédiatement».
Évoquer les avantages de la vaccination
Selon lui, qu’aurait-il fallu faire, une campagne signalant les risques encourus si l’on ne se vaccine pas? «Je ne pense pas que baser des messages imprimés sur les dangers du coronavirus toucherait les jeunes. On se sent éternel quand on a 20 ans (et moins) et ceux qui redoutent vraiment cette maladie n’ont pas besoin d’une campagne de communication pour se faire vacciner. Surtout si la campagne est catastrophique».
Quel serait donc le bon message? «Il faut avant tout évoquer les avantages de la vaccination pour les jeunes. Éventuellement au deuxième degré: «Sinon, plus de cinéma, plus de boîtes, plus de bus, plus de foot» etc.». Un peu comme cette campagne française ci-dessous?


Là, le spécialiste en communication applaudit: «Images parfaitement ciblées, textes parfaits: j’achète immédiatement. Notez l’intelligence du texte: «peut avoir des effets désirables». Le mot «peut» est très fort: on ne promet pas formellement mais on laisse entendre qu’en se vaccinant, nos souhaits pourront se réaliser. Et l’expression «effets désirables» est subtilement puissante, destinée aussi (voire surtout) à ceux qui prétextent la crainte d’éventuels effets secondaires pour refuser le vaccin. Opposer «effets désirables» à «effets secondaires» est un coup de génie. Le slogan final est génial aussi: «À chaque vaccination, c’est la vie qui reprend». On n’évoque pas l’immunité collective mais on suggère que l’addition des vaccins permettra à la vie (d’avant) de reprendre».
Selon lui, «voilà le résultat, lorsque des gouvernants font confiance aux pros de la communication et quand un pays a des communicateurs de talent (ce qui n’est pas franchement le cas en Suisse). Et quand tout le monde ne se mêle pas de la conception publicitaire. À mes débuts, j’avais créé un message d’autopromotion disant: «Dans tout homme, il y a un publicitaire qui sommeille. Laissez-le dormir».