Décès d’un pionnierYves Jeannotat, une vie au pas de course
Ancien coureur, entraîneur, journaliste et écrivain, le Jurassien s’est éteint à l’âge de 92 ans. Raymond Corbaz avec qui il a couru, lui rend hommage.


Yves Jeannotat suivi de Voegele dans la côte de La Sonnaz. Le Jurassien a gagné Morat-Fribourg à deux reprises.
ASL
«Aux Rochers-de-Naye, j’ai rendez-vous avec le Bon Dieu», ainsi parlait Yves Jeannotat, lorsqu’il décrivait les courses à pied de la région. Sa plume poétique donnait le goût à ses lecteurs de prendre leurs baskets et de s’évader, au rythme de leurs pas. Il écrivait dans la préface d’un livre précisément consacré à la course des hauts de Montreux: «La pente est telle que, quand s’entrouvrent les paupières, le regard peut s’échapper par en dessous pour admirer le Léman, qui se balance lentement au rythme des foulées».
Yves Jeannotat est décédé le 6 novembre à l’âge de 92 ans. Né à Montenol dans une fratrie de huit enfants, le Jurassien avait un talent inné pour communiquer sa passion de la course à pied, lui qui avait remporté Morat-Fribourg à deux reprises, en 1959 et en 1961.
«C’était mon premier entraîneur, raconte avec émotion Raymond Corbaz, autre personnalité de la course à pied romande. C’était un pionnier. Quand j’ai débuté, Yves était déjà au Stade-Lausanne. Il avait participé à un cours à Fribourg-en-Brisgau de deux spécialistes, lesquels étaient les premiers à recourir au fractionné.»
«Nous alignions des séries de 18 x 1000 m sur les quais d’Ouchy dans un chrono de 3’ 20”, avec 55’’ de pause entre deux»
D’ailleurs, Yves Jeannotat était un stakhanoviste, prêt à aligner les kilomètres, comme le souligne Raymond Corbaz. «C’était un fou de l’entraînement. Je me souviens que nous alignions des séries de 18 x 1000 m sur les quais d’Ouchy dans un chrono de 3’ 20”, avec 55’’ de pause entre deux. Quand je rentrais à la maison, je n’avais plus la force de manger. Je tombais littéralement sur mon lit et m’endormais tout habillé. Lors de mon premier entraînement avec lui, nous avions fait Pully-Vevey et retour. Je croyais y laisser mes tripes.» Des anecdotes, Raymond Corbaz en partage beaucoup avec son mentor. «La course à pied n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui. Quand on courait à la place de Milan à Lausanne, certains soirs, des chiens nous couraient après, car ils ne comprenaient pas ce qu’on faisait là!»
Contre les discriminations
L’ancien rédacteur de La Tribune (qui deviendra Le Matin) et cofondateur de la revue Spiridon a popularisé son sport. Il a marqué les esprits avec un militantisme délicieux. Il souhaitait que toutes et tous puissent courir sur un pied d’égalité. Si bien que, comme l’indiquait le Quotidien Jurassien, Yves Jeannotat ira jusqu’à s’inscrire à la course bernoise Frauenlauf, réservée à la gent féminine, pour lutter contre la discrimination. Inutile de dire que les organisateurs lui ont refusé le droit de courir. «Demander d’accepter les hommes à la Course des femmes, c’est tout lui», commente amusé Raymond Corbaz. Et de louer ses qualités humaines: «J’ai apprécié sa gentillesse, son écoute. Il était toujours de bonne humeur.»
Peut-être qu’un de ces jours, Yves Jeannotat aura, comme il l’écrivait, vraiment rendez-vous avec le Bon Dieu. Si c’est le cas, il y a de fortes chances qu’il le convertisse, Lui aussi, à la course à pied.