Huit enfants en enfer: l’un d’eux accusé de viol – Fils du père incestueux: la procureure requiert l’acquittement

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Huit enfants en enfer: l’un d’eux accusé de violFils du père incestueux: la procureure requiert l’acquittement

Avec la complicité de sa femme, un prédateur sexuel a violé et/ou maltraité ses huit enfants de 2004 à 2015. Un de leurs garçons comparaît à Yverdon (VD).

Evelyne Emeri
par
Evelyne Emeri
Ce mardi 7 décembre 2021, l’un des garçons du couple incestueux est jugé pour viol et contrainte sexuelle, subsidiairement pour actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance.

Ce mardi 7 décembre 2021, l’un des garçons du couple incestueux est jugé pour viol et contrainte sexuelle, subsidiairement pour actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance.

Jean-Paul Guinnard

Comment juger une victime de maltraitance et d’abus depuis quasi sa naissance qui a répété le schéma d’une normalité vécue à huis clos durant onze ans? En quelques secondes, le procès du jour nous replonge dans le procès de l’indicible inceste de mars 2018: huit enfants en enfer abusés sexuellement et/ou brutalisés par leur père, prédateur sexuel affamé, avec la complicité de sa femme. Et ce, durant onze ans. Tous détruits. Ce mardi, c’est l’un des garçons de la fratrie, 19 ans, qui se retrouve devant le Tribunal d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois. Accusé de viol et de contrainte sexuelle, subsidiairement d’actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance.

Apte à comparaître?

À son arrivée au Tribunal, on se demande si c’est bien lui le prévenu. Ce jeune homme, frêle physiquement et psychologiquement, tellement replié sur lui-même et dont les séquelles de sa «vie» de famille transpirent, est-il vraiment apte à comparaître? Le président de céans, Alban Ballif, a estimé que oui. Il mènera son interrogatoire avec beaucoup de tact et de respect pour tenter de savoir ce qu’il s’est passé la nuit du 21 au 22 août 2020 au foyer où résidait l’accusé. Ce dernier s’en serait pris par deux fois à l’une de ses camarades de 16 ans qu’il aimait bien dans sa chambre. L’a-t-il violée, l’a-t-il contrainte, menacée, a-t-il usé de violence, d’intimidation?

«Ce n’était pas bien»

Les réponses du jeune garçon sont difficiles, la voix est saccadée, part dans les aigus. Les troubles de la parole, parmi tant d’autres, se font jour. Il se contredit: «Je ne me souviens pas. Mon cerveau m’a dit d’arrêter (ndlr. la 1ère intrusion dans la chambre), que ce n’était pas bien. Elle ne m’a pas dit «oui» ou «non». Je ne savais pas si c’était mal.» Plus loin: «A la fin, elle m’a dit d’arrêter (ndlr. 2e intrusion et relation complète) et j’ai arrêté». «Pourquoi l’avoir fait?» questionne la procureure Valérie de Watteville Subilia. Réponse du prévenu: «Elle aurait dû me dire qu’elle ne voulait pas. J’ai compris après, au déjeuner. Quelqu’un m’a dit que quand c’est non, c’est non».

«Ni contrainte, ni violence»

Aussi fou que cela puisse paraître, le Ministère public, après avoir instruit à charge, a livré un réquisitoire à décharge. Émouvant et prenant en compte les deux parcours cabossés du Vaudois et de la plaignante, hémiplégique du côté gauche et pas non plus épargnée par la vie. Tous deux souffrent de troubles multiples et gravissimes, au point qu’ils ont vécu cette nuit complètement différemment. Et pourtant, selon leurs déclarations en cours d’enquête, leurs propos se rejoignent très souvent. «La plaignante n’a pas réagi, elle dit qu’elle était paralysée, qu’elle était dans une bulle. Il n’y a eu aucune contrainte, aucune violence, elle n’en fait pas état», note la procureure.

«Elle n’a pas verbalisé»

La magistrate de poursuivre: «Ils étaient proches tous les deux. Ils se faisaient des hugs (ndlr. accolades), elle s’est même endormie une fois dans ses bras. Elle se laissait faire. Le prévenu ne pouvait pas comprendre, il ne pouvait pas savoir qu’elle n’était pas d’accord. Il pensait qu’elle était consentante. Il n’a pas agi intentionnellement». Sans remettre en cause la souffrance de la jeune fille, absente des débats (mineure), elle évoque aussi «qu’elle n’a pas su verbaliser et qu’il y a clairement eu des incompréhensions». Le Parquet a requis l’acquittement et, cas échéant, le transfert immédiat du dossier à la justice de paix (ndlr. justice civile et plus pénale) pour la poursuite de l’encadrement du garçon incriminé.

«J’aimerais oublier»

«Vous n’allez pas vous laisser influencer par le Ministère public qui oublie certaines pièces. Ma cliente est la seule victime», réplique en début de plaidoirie Me Emmeline Bonnard, qui représente la plaignante. «Elle a 17 ans. Elle est en stress chaque fois qu’elle doit parler de cette histoire. Elle me dit toujours: «J’aimerais oublier». Elle n’a pas oublié contrairement au prévenu. Son discours est crédible. Ne vous laissez pas guider par une victime (ndlr. l’accusé) au passé douloureux. Elle lui a dit deux fois «J’ai mal», il lui a répondu «Je m’en fous complètement». Elle était vierge, il l’a déplacée, elle a eu des hématomes sur les tibias et les bras. Cela implique une certaine force et de la violence.»

«Il l’a dit, il a reproduit»

«L’accusé l’a déclaré lui-même: il a reproduit ce qu’il avait vu chez lui. Il l’a dit au foyer. Ma cliente est en état de stress post-traumatique depuis les faits, révélateur de l’agression. Lui a un retard, il souffre, il a vécu un parcours horrible mais il n’est pas bête. Ou il ne se souvient pas ou il admet. Il choisit aujourd’hui ce qu’il veut vous dire. Il n’est pas authentique. Les experts ne retiennent pas une irresponsabilité totale. Il ne serait pas juste de ne retenir qu’une vie horrible.» Et Me Bonnard d’exiger qu’il soit condamné pour contrainte sexuelle ou que la peine soit suspendue au profit d’un traitement ambulatoire. Enfin qu’une indemnité de 15’000 francs soit allouée à la plaignante pour tort moral.

«10 ans et un Q.I. de 55»

«Deux planètes sont entrées en collision, mais pas dans le même système solaire. Ni l’un ni l’autre ne sont responsables. Elle souffre des séquelles d’un AVC intervenu alors qu’elle était toute petite. Il a vécu l’enfer de 2004 à 2015 et souffre de carences sévères.» Me Tiphanie Chappuis, avocate du Vaudois de 19 ans, balaie en bloc les affirmations de sa consœur: «Vous ne devez pas rendre justice à la plaignante, mais juger mon client par rapport à ses capacités. Il n’est pas capable de stratagème, d’adapter ses déclarations. Vous lui faites dire ce que vous voulez. Il n’a pas compris qu’elle n’était pas consentante. Elle n’a pas dit «non». Avec ses troubles cognitifs, son retard mental, son Q.I. de 55, il a 10 ans avec les hormones d’un jeune homme».

«Collision de pathologies»

«Elle ne disait rien, elle était tétanisée, sans réaction. L’accusé ne pouvait pas comprendre qu’elle n’était pas consentante puisqu’elle ne le verbalisait pas, ajoute Me Chappuis, Il n’a pas voulu ce qui s’est passé, c’est un gentil, quelqu’un de respectueux qui comprend quand on lui pose des limites. À l’instant (ndlr. à la fin), où il a compris son refus, il est sorti de sa chambre. C’est la collision de deux pathologies. Il n’y a eu ni violence, ni contrainte, il a fait face à une totale passivité, à une absence de réactivité. Il n’a jamais eu la volonté de la forcer. Il n’y a pas eu de signes déchiffrables de l’opposition de la plaignante, qui reste évidemment la seule victime d’une personne qui n’a jamais voulu lui faire du mal. Vous devez l’acquitter.»

Le verdict sera connu demain mercredi.

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