Commentaire: Berne fédérale: un monde sans pitié

Durant la pandémie du Covid-19, le Conseil fédéral a tenu quelque septante conférences de presse. Les annonces du mercredi faisaient l’objet de beaucoup de spéculations, depuis les premières qui ont annoncé la fermeture des établissements publics en mars 2020, puis le port du masque, les vaccins, le certificat, etc., jusqu’à la dernière, au mois d’avril 2022, où toutes les restrictions ont été levées.

À chaque fois, dans les rédactions, ces annonces ont fait l’objet d’intenses spéculations les jours précédents. Parfois, certains titres alémaniques semblaient disposer en primeur de l’information. Mais, il fallait tout de même attendre la décision du Conseil fédéral pour en avoir la confirmation. Il est vrai que bien souvent ces indiscrétions correspondaient aux décisions prises.

Le procureur extraordinaire Peter Marti, qui devait enquêter sur des fuites dans l’affaire Crypto, a étendu son enquête sur la pandémie après avoir découvert des mails de l’ex-conseiller d’Alain Berset, Peter Lauener. Ce dernier aurait transmis des informations encore confidentielles au groupe Ringier et à son patron Marc Walder. C’est à travers une nouvelle fuite de l’enquête menée par ce procureur, que ces faits ont été rendus publics samedi.

Mais rien n’est simple dans cette affaire, car le procureur Marti, d’obédience UDC, fait l’objet d’une plainte pour abus d’autorité par Peter Lauener lui-même. L’Autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération a d’ailleurs nommé un deuxième procureur extraordinaire, l’avocat lucernois Stephan Zimmerli, pour enquêter sur le premier. Depuis, l’enquête de Peter Marti est en stand-by. Sauf pour les fuites.

Dans ce contexte tendu, le fait que des éléments de l’enquête étendue de Paul Marti se retrouvent sur la place publique ressemble à un sérieux règlement de comptes. Il vise évidemment à déstabiliser Alain Berset, qui aurait toléré, voire induit les indiscrétions de son proche collaborateur en direction du groupe Ringier. Il n’en faut pas plus pour que des élus de l’UDC réclament une nouvelle fois sa démission, tandis que d’autres voudraient que le Parlement nomme une commission d’enquête.

Mais à quoi bon une enquête de plus? La crise du Covid-19 est derrière. Elle a été dure. Les multiples mesures décidées par Conseil fédéral ont entretenu un débat virulent, elles ont divisé la population comme jamais, provoqué des manifestations hostiles et houleuses jusque devant le Palais fédéral. Durant ces deux années, le Conseil fédéral devait s’assurer d’une adéquation de ces décisions avec les attentes de la population. Sans pouvoir évidemment contenter tout le monde, il l’a fait en écartant les mesures trop liberticides prises dans d’autres pays. Par deux fois, le peuple a confirmé sa confiance par environ 60% des voix.

Le fait que certains médias ont été informés en primeur des intentions de l’OFSP ou du Conseil fédéral a-t-il eu un impact sur l’opinion publique? Probablement aucun. Par contre, d’un point de vue déontologique et professionnel, cette façon d’agir, hélas coutumière de la Berne fédérale, est tout à fait contestable. Le protocole veut que les médias soient sur un pied d’égalité en matière de communication, c’est une question de loyauté de part et d’autre. Entre glisser une information à l’oreille d’un journaliste ou entretenir une correspondance avec le patron d’un groupe de presse, il y a tout de même une limite à ne pas franchir! Le contexte hautement conflictuel de la pandémie ne justifie pas tout.